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laissant sa fortune toute entière à son fils unique. Celui-ci, dont j’avais longtemps partagé les jeux, connaissait le profond attachement qu’avait développé en moi la reconnaissance que je gardais à son père : devenu le maître, il me demanda de rester à son service, et m’éleva à la charge de gouvernante de sa maison. J’acceptai avec empressement et j’entrai aussitôt en fonctions. Mais je fus mal accueillie par ma nouvelle maîtresse, personne nerveuse et chétive que désespérait d’ailleurs la santé fort mauvaise de son fils unique, alors âgé de dix ans : de continuels froissements m’amenèrent à la prendre en haine.

Durant les vingt années heureuses que j’avais passées sous le toit des Darcier, j’avais reçu de loin en loin la visite de quelque bohémien chargé par mon père de m’intimer l’ordre de rejoindre ma tribu. Cependant, la bonté avec laquelle j’étais traitée ne se lassant point, je répondais à ces demandes par un refus absolu de partir. Mais quand, un an après mon entrée en fonctions dans la maison du fils de mon vieux maître, je reçus encore une fois la visite d’un envoyé de ma famille, découragée par l’aversion que m’inspirait ma maîtresse, je ne refusai plus de la même manière, et je laissai entrevoir au messager de mon père la possibilité d’un prochain retour.

Les événements se précipitèrent alors avec une effrayante rapidité : ma maîtresse mourut en mettant au monde une petite fille, que je restai chargée d’élever. Mon maître, accablé sous le coup de cette mort imprévue, devint sombre, acariâtre : je pris la résolution de partir. Et alors se réveilla, en moi, l’instinct si longtemps endormi du vol et du crime,