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indifférents que la vue de mes souffrances a si longtemps choqués dans leur insolente joie de vivre bien portants et sans soucis. Quelquefois encore une bonne parole de la chère adorée, qui sait si délicatement me rappeler à l’espoir de guérir. Mais ce baume, quand elle a passé, devient une source nouvelle d’amertume : c’est la pitié seule, je le sens alors, qui inspire sa démarche. Sous le couvert de ses charitables condoléances, rien que l’indifférence la plus absolue. Je suis un malade dont la souffrance émeut cette âme de sœur de charité, rien de plus. Elle n’a jamais lu dans mon regard, elle n’a jamais deviné mon cœur…

C’était la centième fois que l’habile praticien entendait cette lamentation : il savait par cœur, maintenant, la plainte de cette âme ulcérée. Mais chaque fois qu’elle se renouvelait, il se laissait bercer au son de la voix éplorée qu’il se savait seul à connaître, et revenait à son intime désir de trouver le moyen d’appliquer le remède. Le remède, il le connaissait : c’était de mettre son protégé en relations avec la famille Dubreuil. Mais il entendait encore la parole du vieillard résonner à son oreille, vibrante comme au jour même où elle avait fait tomber ses illusions et changé en une amère déception l’espoir qu’il nourrissait à l’égard de son jeune ami.

Et, songeur, la tête penchée dans un ploiement de tout le corps, il traçait du bout de sa canne sur le sable de l’allée, des signes mystérieux.

— Fernand doit guérir absolument, dit-il. Il le faut, et cela sera.

Mais ce ton de prophétie, si énergique chez lui autrefois, ne convenait guère à l’expression d’une pensée qu’il n’émettait plus qu’en tremblant, prévoyant