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Ici, à Caquel-Huincul et à Cholila, existait autrefois un immense bassin lacustre antérieur à la grande extension des glaciers, et dont les vestiges actuels sont les chapelets de lacs appartenant au système du rio Puelo et du rio Fta-Leufu, bassin commun qui s’est séparé à mesure que l’érosion, le climat et peut-être les phénomènes volcaniques ont produit les écoulements de l’ouest à travers la Cordillère. Dans la première période glaciaire, une couche de glace recouvrait toute la région andine de l’orient et les cours d’eau auxquels elle donnait naissance se dirigeaient vers l’Atlantique. Ainsi s’expliquent les larges vallées avec les couches de cailloux roulés andins qui les recouvrent, vallées par lesquelles courent aujourd’hui les affluents du Chubut. La plaine est formée des restes d’une des vieilles moraines frontales de ce grand lac disparu.

Plus loin je m’occuperai de nouveau du paysage embrassé du coteau d’où je descends en toute hâte, menacé par l’incendie des champs, provoqué par les bouviers afin qu’il reverdissent. Avant de me voir enveloppé dans la fumée, mon attention avait été sollicitée par la beauté du paysage et le coloris spécial du rio, de la plaine et de la montagne. Les sommets rapprochés à l’orient avec leurs roches volcaniques verdâtres, rougeâtres, violettes et lie de vin, comme de gigantesques caillots de sang, blessures produites par l’irrésistible force d’impulsion du glacier qui pulvérisa et désagrégea ces laves ; puis, à leur pied, le fleuve serpentant, noir dans l’ombre, argenté par la lumière du ciel limpide à l’orient, bordé d’arbres obscurs, de hautes herbes et de chilcales vert-clair, qui contrastaient avec le jaune et le gris des moraines arides. À l’arrière-plan, surgissant au-dessus des dépressions mystérieuses avec de la fumée d’encens, les hauts sommets colorés de lie de vin et de noir avec des reliefs de nacre produits par la neige sur ces cimes aux tons d’acier, au milieu des nuées menaçantes de l’orage prochain sur le glacier caché, très loin vers le couchant… Mais le temps pressait, et je désirais arriver à Lepa pour la nuit.

La plaine glaciaire s’élève à peine à dix mètres au-dessus du Maiten ; elle est coupée par des lits de rivières, secs en été, mais qui, au printemps, apportent au Maiten les eaux de l’hiver, tout près des ruisseaux tributaires d’Epuyen. En côtoyant ses bords, nous nous rapprochons de la troupe en marche, arrivée déjà au pied des sommets qui, à l’ouest, limitent la vallée de Lelej. Musters n’a pas de paroles assez élogieuses pour décrire la beauté de cette vallée qu’il appelle un paradis, et qui mérite bien cette