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de grande dimension et presque recouvertes de la nouvelle terre qui se forme par la décomposition des roches et la végétation qui les recouvre.

Près de la rive sud du lac, depuis la pointe située en face de la petite île du nord, il y a trois îles dont l’orientale est la plus petite. Ce côté du lac est plus élevé et plus pittoresque que l’autre ; les gorges, les forêts, les anciennes moraines avec leurs prairies naturelles et leurs bosquets, forment un tableau sans rival.

Nous sommes restés jusqu’au 22, ai-je dit, dans le campement ; j’aurais désiré y séjourner davantage pour exécuter — appuyé sur une triangulation détaillée — un levé plus complet du lac, mais les indigènes prenaient une attitude chaque jour plus menaçante.

L’estafette envoyée par le cacique Inacayal à Shaihueque n’avait pas voulu aller jusqu’aux tolderias de celui-ci, craignant d’être porteur « de mauvaises paroles » qui auraient pu lui faire passer un mauvais quart d’heure.

On me prévint qu’aux environs s’était établi un groupe important de guerriers qui m’épiaient, et comme, ce jour-là, j’avais risqué être cerné avant d’arriver à l’extrémité ouest du lac où je désirais aller, je levai le camp à midi, en emportant toutes les collections, et me dirigeai dans cette direction-là.

Je voulais suivre toute la rive sud du lac et tâcher d’arriver à Tecka, par la Cordillère, dépistant ainsi les Mapuches. Le chemin, que j’ai parcouru ce jour-là, est le plus beau dont je conserve le souvenir dans ma vie de voyageur. Les Fitz-roya patagonica et les Libocedris chilensis, les deux beaux et utiles conifères antarctiques, croissent en profusion et promettent grande fortune aux scieries de l’avenir. J’ai mesuré, ce jour-la, un des premiers : son tronc, à la hauteur d’un homme à cheval, avait plus de huit mètres de circonférence[1], et ces arbres, dans quelques parages, sont si nombreux qu’il est impossible de passer à travers. Les coihués de trente-cinq mètres de haut, ombragent le bord des rivières et forment parfois des ponts naturels. Les maitenes constituent d’épais bosquets.

Dans les pittoresques prairies, tapissées de gazon et de fraisiers, alternent le chêne, le cannellier, le laurier et le pommier.

Nous passons la nuit sous un grand cyprès, au bord d’un torrent, dans une plaine entourée de bois, à quelques centaines de mètres au-dessus du lac. Dans le torrent, j’ai trouvé des roches carbonifères avec des restes fossiles de végétaux.

  1. Il domine aujourd’hui le village de San Carlos.