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nous nous dirigeâmes au nord-ouest, par une plaine très riche en herbages et en fraises, arrosée par plusieurs rivières ombragées par de grands arbres. Après avoir traversé un rio torrentueux qui se verse dans le lac, nous passons par une prairie boisée, ondulée, formée par des moraines glaciaires anciennes, et un peu plus tard, nous nous trouvons au bord du lac en face de l’endroit où j’avais campé, en 1876, sur la rive opposée.

La Patagonie est la digne rivale de la Suisse pour la magnificence de sa nature.

J’ai visité la Suisse et ses grands lacs après avoir parcouru la Patagonie, et j’estime que la Suisse est une réduction habitée de la Patagonie andine ; aucun de ses lacs ne peut rivaliser avec la majesté imposante, immense du lac Viedma ; aucun de ses glaciers, avec la mer de glace semblable à un morceau de côte groënlandaise, que domine le volcan Fitz Roy. Le lac Argentin est plus sauvage, plus altier que celui des Quatre-Cantons ; tout ce qu’à celui-ci, il le possède, sauf la main de l’homme, mais sur une plus grande échelle, proportionnée à ses dimensions. Les montagnes sont plus élevées et plus pittoresques : ses forêts sont vierges, tandis qu’en Suisse on voit le passage de la hache et de la scie ; ses glaciers remplacent, par une escadre de glaçons gigantesques, magiques, qui défilent devant les forêts en fleur, les blanches embarcations ou les vapeurs qui conduisent en Suisse le touriste. Le lac San Martin, séparé des canaux andins par les monts Lavalle, n’a pas d’égal parmi ceux de dimensions plus modestes que j’ai vus, comme celui de Brienz ; les pics neigeux des environs sont aussi imposants que la Jungfrau. Le Nahuel-Huapi aurait de la ressemblance avec le lac Léman, si à ce dernier on ajoutait celui des Quatre-Cantons. Le Mont-Blanc a un frère dans le Tronador, géant géologique toujours en colère et toujours rugissant.

Au point que j’ai signalé, je trouvai des huttes et y campai. Inacayal, propriétaire, selon lui, des régions du lac, avait accordé à quelques indiens valdiviens, cultivateurs, la permission de s’établir sur son territoire ; c’étaient les premiers pas dans la voie du progrès, si peu connue à l’indien. Les nouveaux habitants avaient ébauché le modeste tracé d’une ville argentine future, où je trouvai des plantations de maïs, de l’orge déjà épié, et divers légumes qui composèrent notre menu dont le plat de résistance était la viande de cheval.

De ce point-là, défendu en partie par le bois et le torrent