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où fit naufrage le hardi explorateur chilien Guillaume Cox. Il me semble que ces rapides sont formés de rocs détachés, peut-être de blocs erratiques transportés par les glaçons dans le lac de la seconde période des glaciers, avant que les eaux ne se soient métamorphosées en un fleuve.

Le paysage du Limay, à cette hauteur, est très beau et attrayant malgré les tonalités obscures des roches volcaniques : le vert profond des cyprès, les eaux azurées, les crêtes blanchâtres des avalanches liquides sur les rapides, et les petites cascades qui tombent sur des rideaux de mousses et de fougères rendent agréable la marche vers le Traful, principal affluent du Limay au sud du Collon-Cura (660 m.). Ce fleuve, qui coule sur un lit de galets, forme, avec sa vallée encaissée, un coude pittoresque. Son passage a la renommée d’être dangereux ; j’ai eu la bonne fortune de le trouver clément les trois fois que je l’ai traversé à de grands intervalles (planche XIII). Les curieuses formes que prennent les tufs par la décomposition et l’érosion varient à l’infini. Quelle profusion de tourelles, d’aiguilles gothiques, de pyramides égyptiennes, de coupoles romaines au-dessus et au pied de ces énormes murailles à pic !

Après avoir traversé un défilé si étroit qu’avec une claie d’un mètre on peut fermer le passage des troupeaux de dizaines de lieues, nous établissons notre campement dans un bas-fond abrité au pied de vieux cyprès et dominé par ces tours et ces pyramides. Rien de plus hardi qu’un énorme monolithe, gigantesque obélisque de quatre mètres de base sur cinquante de haut (planche XIV). Les roches stratifiées, sur lesquelles reposent les laves et les tufs, sont horizontales, et sans aucun doute les mouvements séismiques ne sont guère violent dans cette région quand les tufs se permettent de telles hardiesses. Ces derniers ne sont pas toujours de grain fin et souvent on observe de véritables conglomérats volcaniques. Le jour suivant, nous continuons à suivre la rive gauche du Limay, et, à midi, nous sortons des défilés pour pénétrer dans une région où la vallée, qui s’élargit toujours dominée par le vieux tuf porphyrique, présente de faibles ondulations ; nous apercevons quelques établissements sur la rive opposée ; nous dépassons une belle moraine frontale qui ferma autrefois la vallée et dans les dépressions de laquelle le fleuve a tracé son cours tortueux et nous gagnâmes la large et grande vallée, reste du lac Nahuel-Huapi qui se retire. Cette vallée où, tout près du lac, est situé le fortin Chacabuco (770 m.) ou plutôt ses ruines, au pied de montagnes volcaniques abruptes, devrait être déjà toute peuplée.