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bois, encadré dans un paysage idyllique. Ce coin de lac, encore enveloppé d’une faible brume matinale, me rappela quelques fusains d’Allongé : les joncs paraissaient surgir du vide, si profond était le calme des eaux, qui reflétaient le ciel ; plus loin, la haute futaie teignait en vert sombre les eaux couleur de plomb, et ce n’est qu’au milieu du lac que celles-ci prenaient une teinte bleu-ardoisé. Le Cerro Ponom étalait la curieuse décomposition de ses laves qui lui valurent sa dénomination obscène et au fond du tableau, le soleil levant illuminait le magnifique volcan Lanin, aux formes symétriques, qui ressemblait à ce moment à un fantastique cristal de rythrosoufre, plaque d’argent. Le Lanin est la montagne la plus caractéristique et dominante du Territoire du Neuquen, et c’était pour moi une vieille connaissance que j’avais sous les yeux depuis plusieurs jours déjà, car sa cime altière commence à se révéler au voyageur depuis la chaîne d’Aichol.

Dans le courant de l’après-midi, je quittai le campement de la sous-commission, et traversant la vallée, nous nous établîmes à la nuit dans un lieu abrité du plateau, près des sources du Picheleufu (1200 m.).

Le jour suivant, nous continuons par monts et par vaux, traversant des gorges pittoresques et des coteaux fertiles et boisés, et après avoir traversé le col granitique élevé de Huahuan (1500 m.), je me retrouvais encore une fois dans le bois d’araucarias qui recouvre le dépôt glaciaire herbeux du sommet du vieux plateau granitique. Ce plateau qui, comme un énorme coin, sépare les montagnes d’origine plus récente dont les chaînons parallèles sont si rapprochés les uns des autres, plus au nord du Bio-Bio, et qui ont produit cette apparente solution de continuité de la ligne des volcans de l’occident qui ont donné son haut relief à la Cordillère, est un fait orographique qui obligera les personnes chargées de délimiter la frontière à procéder avec la plus grande précaution pour reconnaître la véritable ligne de division internationale.

J’ai dit que je me retrouvais, parce que c’est jusqu’ici que je suis arrivé, en janvier 1876, lors de ma première excursion dans la région andine patagonique. Du groupe d’araucarias qui couronne la hauteur, j’emportai deux pignes comme souvenir, cette année-là, regrettant ne pouvoir prendre encore une jeune plante qui se dressait alors au pied de ces géants-là. Le bourgeon rugueux de cette plante s’était déjà épanoui en une large touffe rayonnée vert-émeraude étincelante sous la rosée matinale, et c’était le même paysage agreste dont je conservais