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Ayant passé la nuit dans « La Argentina », nous arrivâmes le jour suivant, vers les midi au fleuve Codihué où, dans l’estancia de don Dalmiro Alsina, je rencontrai le général Godoy qui attendait le premier corps de la division militaire qui devait arriver ces jours-là. L’armée nationale a toujours été le point d’appui de notre prospérité. Ses services aux frontières ne comptent pas en général parmi ses plus beaux titres de gloire, mais ils mériteraient de l’être. Que d’abnégation ! que de sacrifices obscurs !

Ceux qui ne se sont jamais éloignés des grands centres, ceux qui n’ont pas connu le soldat au poste de frontière ne peuvent comprendre le respect que nous avons pour lui, nous qui l’avons vu dans ces effrayantes solitudes, toujours exposé à la mort, après le martyre, et toujours prêt à l’affronter sans la consolation de laisser le souvenir de son sacrifice. Que de réminiscences m’apporta ce groupe de vétérans bronzés ! Quand nos écrivains militaires raconteront-ils au peuple l’histoire du vieux fortin, le plus humble, qui parle plus haut du devoir accompli que beaucoup de batailles dont nous nous enorgueillissons ? Les vétérans des frontières sont pour moi les véritables descendants des vétérans de l’indépendance.

À Codihué, j’envoyai la troupe dans la direction du fleuve Caléufu, point que j’avais fixé pour que me rejoignissent Roth et Soot, et le 18, accompagné de Zwilgmeyer, je me dirigeai à l’ouest pour visiter les belles régions qu’arrosent le fleuve Aluminé et ses affluents. Le chemin gravit le plateau central, et de là, on a une vue étendue qui permet de distinguer clairement les cordons montagneux ; celui que côtoie l’Agrio s’incline vers le sud-est, présentant une profonde dépression par où court ce fleuve dans son rapide détour à l’est. Du nord-ouest on voit un haut chaînon qui s’abaisse à mesure qu’on s’approche au sud jusqu’à disparaître en pentes douces, et qui est remplacé par les chaînes de Gatalin qui se dirigent aussi au sud-est. Nous traversons un petit ruisseau, puis les gorges de l’Aichol, affluent du fleuve Agrio ; cet encaissement est planté de blé. Le plateau, formé de roches sédimentaires plissées, est couvert de laves néovolcaniques et s’ondule à mesure qu’il avance à l’ouest en belles collines, au-dessus desquelles apparaissent les premiers Pehuenes ou Araucaria imbricata que nous ayons vus dans le voyage. Nous nous internâmes dans les montagnes, et dans le ravin de Pino Hachado où l’on a établi une scierie qui fournit des planches aux estancias voisines, et transforme les arbres en poteaux pour la ligne télégraphique que l’on construisait de Général Roca à Chosmalal.