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à laquelle on arrive après avoir traversé une vaste étendue de scories, est extrêmement pittoresque, et ce jour-là les eaux vertes aux reflets dorés et aux ombres violacées comme la poitrine d’un ramier, dans le fond où s’élève le géant gris-noir, présentaient une teinte que je n’ai vue dans aucun de mes voyages. Les cygnes blancs et les flamands roses qui abondaient dans ces eaux immobiles, aux rives noires comme de l’encre de Chine, rehaussaient la singulière beauté tranquille et suave de ce paysage. Cependant, les paysans rentraient en ce moment leurs troupeaux ; le Tromen avait mugi peu de temps auparavant, et plusieurs d’entre eux craignaient qu’il ne rentrât en activité. Tout le trajet, jusqu’au bourg de Chosmalal, où nous arrivons l’après-midi, est beau et fertile. Les champs ostentent des blés et des légumes dont la croissance prouve la bonté de la terre et du climat. Il est bien dommage que la forme imprudente d’après laquelle on a distribué la terre publique n’oblige pas à la colonisation immédiate. Les concessions de grandes étendues seront toujours un discrédit pour le gouvernement argentin et un retard pour le progrès du pays. Si la distribution de la terre publique eût été faite au sud avec la connaissance préalable de ces terrains, sa population actuelle serait cinquante fois plus forte, et ce territoire une riche province argentine. Mais avec des estancies de trente-deux lieues qui ne demandent qu’un homme par lieue pour le soin des animaux, je crains bien que cette admirable région ne prospère pas rapidement.

Nous arrivons le 9, dans l’après-midi à Chosmalal (790 m.), l’ancien fort Cuarta Division, et aujourd’hui capitale du Territoire du Neuquen (planche III, fig. 1), situé au confluent du fleuve de ce nom avec le Curileo, et nous y rencontrâmes Hauthal et Zwilgmeyer. Chosmalal progresse, mais lentement. La distance et le manque de chemins ne sont pas les principaux obstacles, ce sont ceux que produit l’absence d’une bonne législation des terres qui permette au colon de travailler son bien dès le premier moment qu’il l’occupe ; c’est contre cet obstacle que l’on se heurte dans toutes nos localités naissantes du sud. Ou bien le sol appartient à un particulier favorisé qui ne le possède pas toujours en vertu de bons titres, quand il n’a pas été enlevé au fisc par surprise, ou grâce à l’indifférence de ceux qui ont le devoir de veiller à l’exécution des lois qui régissent son aliénation, ou bien il appartient au fisc, et celui-ci ne se préoccupe pas, comme il le devrait, d’enraciner le colon en lui donnant ou en lui vendant le morceau qu’il puisse cultiver. Cependant, Chosmalal a un grand avenir. Sa situation