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pagné de Charles Darwin, Fitz Roy remonta le puissant fleuve jusqu’à la plaine mystérieuse, avec son beau réseau de lacs, que je visitais quarante ans plus tard, et dont les extrémités sont encore inconnues.

Ce voyage avait pour objet non seulement de reconnaître le fleuve Santa Cruz, mais aussi de vérifier la véritable situation de la Cordillère des Andes. En ce temps, chiliens et argentins nous nous disputions les terres de Magellan, situées à l’orient des Andes, et cette excursion confirma, dans mon opinion, notre droit à ces terres si fertiles.

En 1879, je visitai de nouveau la Patagonie, toujours poussé par les mêmes idées de connaître ces territoires jusque dans leurs derniers recoins, et de convaincre par des preuves irrécusables les incrédules et les indifférents, que le grand facteur de notre grandeur sera la Patagonie, appréciée à sa juste valeur. Le Rio Negro avait beaucoup progressé, pendant le temps écoulé entre mon premier voyage à ses sources et le dernier que j’entreprenais ; la ligne de frontières entre la civilisation et la barbarie avait avancé, et les campements se trouvaient déjà à Choelechoel et à Chichinal, et dans des lieux déserts que j’avais visités, s’établissaient des gens laborieux. Dans ce voyage là, j’arrivai jusqu’aux belles prairies qui sont à l’occident du Tecka, au 43e degré, tout près du point où sept ans après se fonda la colonie « 16 de Octubre ». Je visitai de nouveau le lac Nahuel-Huapi, reconnaissant sa rive sud jusqu’aux fjörds de l’occident, et j’arrivai pour la seconde fois aux tolderias, aux huttes de Shaihueque, en des conditions bien pires que quatre ans avant, et pus être témoin des derniers jours des tribus nomades et sauvages, ayant alors des jours de joie, au milieu d’autres très pénibles, en pressentant la réalisation prochaine de mes aspirations : l’exploitation par le travail de cette Suisse argentine, comme je l’avais appelée au retour de ma première visite.

Je n’ai pas l’intention d’étendre ce coup d’œil rétrospectif, et je m’arrête avec peine, car il me serait agréable de raconter des scènes pittoresques disparues déjà des lieux où elles se passèrent, aujourd’hui surtout que les années ont adouci les souvenirs, et fait oublier les amertumes ; je le ferai dans les années de repos si j’y arrive, je ferai alors le récit de mes impressions dans les régions andines, avant l’anéantissement des tribus, quand on vivait comme l’indien nomade, indépendant, seigneur et maitre des pampas et des montagnes, sans autres lois que celles que lui imposaient ses besoins limités,