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— Mais oui, une goélette. Vous voyez bien que ses lumières sont bien plus basses que celles du steamer.

— C’est pourtant vrai. Dis-donc, si nous lui faisions des signaux ; elle s’en va dans notre direction, ça ferait rudement notre affaire.

— C’est une idée.

Ils se levèrent tous deux et se mirent à agiter, Dolbret son mouchoir, P’tit-homme son veston. Mais la goélette ne les vit pas, elle continua sa route à toutes voiles. Du reste, au bout de deux minutes, nos deux hommes étaient épuisés et les lumières blanche et verte de la goélette avaient disparu dans la brume.

L’excitation nerveuse née de l’action, l’espèce de fièvre produite par l’attente, le prélude, le nœud et le dénouement d’un fait dont on est le héros, tout cela grise, met sur les yeux un voile qui cache les obstacles, les mauvais côtés, les incidents minimes, les détails apparemment sans conséquence. Et du reste, à un moment donné, un de ces moments où notre vie sort de son orbe ordinaire, tous les trésors d’enthousiasme accumulés en nous par la nature ou encore par les lectures, les rêves de jeunesse, l’éducation, l’imagination, explosent et nous aveuglent. Ce n’est qu’une fois l’orage passé qu’on se rend compte et que, souvent, l’on regrette. Il n’y avait pas assez longtemps que Dolbret avait résolu de prendre la vie gaîment pour que cette réaction n’eût pas lieu dans son esprit. Mais il fit un effort et, plaisantant, il dit à P’tit-homme :

— Ma foi, P’tit-homme, c’est la première fois que je m’aperçois que tu es bossu.