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profonde qui sortait de sous un béret noir rabaissé jusqu’au nez de son propriétaire.

Hallo, Pierre Dolbret, fluta à voix de tête un grand garçon mince, au nez en trompette.

« J’aurais mieux fait de rester dans le commerce, songea Dolbret ; je n’y étais que depuis hier soir ; ce n’était pas trop long ; la publicité n’est pas mon fait. » Il releva la tête et vit le bataillon de Québec dont les chapeaux à rebord relevé et à plumet commençaient à paraître. Ils s’avançaient, fiers, solides, contents, la figure réjouie par ces nouvelles de désastres boers qu’on leur lançait aux oreilles depuis le matin. Car cette expédition ne devait être qu’un voyage de plaisir, payé, aller et retour, par le gouvernement. (Et c’est le rêve de tout bourgeois de voyager aux dépens du gouvernement.) On allait en Afrique faire un tour, on ne se battrait même pas, pas plus que sur la main, puisque, des Boers, il n’y en aurait plus dans un mois. N’y en avait-il pas douze mille de moins depuis hier ? Juste le temps, un mois, d’aller à Cape-Town pour en repartir. Puis, au retour, on arrêterait à Londres, on se promènerait, ou serait des héros, on serait fêté, choyé par les jolies femmes de la Métropole anglaise, embrassé par celles de Québec, ensuite. Et puis, et puis, la perspective n’offrait que de ces couleurs gaies et engageantes à l’œil grisé du soldat d’occasion. C’était une aubaine même de n’être engagé que comme simple soldat ; rien à faire, rien à risquer, s’amuser. Ces beaux raisonnements avaient tourné la tête à un millier de Canadiens, dont deux cents Canadiens-français. Après tout, puisqu’on ne se battrait pas… Du reste, sur tout le