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les chaises longues, dans les chaloupes de sauvetage, dans les corridors, dans la salle à dîner, au salon, dans les galeries, c’était la foule disparate des arlequins, des pierrots, des rois ; puis la troupe folle des Orientaux, des mandarins magnifiquement vêtus de soie, des petites sœurs cadettes de Yedo, aux sourcils délicieusement peints. Miss Block, momentanément abandonnée par son fidèle Wigelius, peut-être à cause de sa métamorphose insuffisamment mythologique au goût de ce rêveur du nord, se promenait fièrement sous la défroque kaki que lui avait prêtée un soldat se rendant aux avant-postes de l’armée anglaise, et distribuait les sourires plus ou moins jeunes de ses vieilles dents aux Pompadours, aux Cléopâtres, aux Cléos de Mérode, aux Oteros, aux Polaires, aux Napoléons, aux mille personnages historiques ou connus que huit jours de tortures d’esprit avaient pu suggérer aux passagers du « City of Lisbon ».

La nuit avait des tons de rêve ; l’horizon restait enflammé des ardeurs du jour et encerclait la mer comme avec une écharpe d’or et de vermeil. À l’infini, sur l’eau très calme, comme les coups de pinceau d’un océan d’aquarelle, les phosphorescences scintillaient, retombaient en gerbes de pierres précieuses dans le sillon noir creusé par le paquebot et rayonnaient de toutes parts sur ce petit monde isolé, cette île en marche qu’était le « City of Lisbon » ; et, parmi ceux qu’il portait, depuis l’âme la moins poétique jusqu’à l’esprit le plus élevé, il n’y avait personne qui ne fût grisé par cet enchantement. Peu à peu, le bateau ralentissait sa marche, car l’heure avançait, il était maintenant onze heures et demie. Dans une demi-heure le bal