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fonds, un front fuyant — signe d’imagination — une bouche un peu épaisse, des dents blanches et bien rangées, en somme une bonne tête, et bien campée sur de larges épaules.

— Racontez-moi un peu votre affaire, fit le directeur, après cet examen.

Et avec, comme basse, le roulement sourd de la voiture, Dolbret commença de parler :

— J’ai cru, à venir jusqu’à présent, qu’on devait gagner de l’argent pour vivre, et pas plus. Avec cette idée surannée comme point de départ, je devais naturellement tomber dans l’erreur commune à tous ceux de ce pays-ci qui ont fait leurs humanités : embrasser une profession libérale ou le sacerdoce. Sans savoir si j’avais la vocation, j’ai porté la soutane, puis, ne prévoyant pas le dégoût que m’inspirerait la médecine, j’ai suivi les cours de l’Université, j’ai même mon diplôme. Il restait la littérature. Je n’y ai pas songé longtemps, par exemple. J’ai vite compris que nous n’avons pas la formation nécessaire pour réussir dans les lettres ; du reste, quand même quelques hommes privilégiés se sentiraient du talent et pourraient le développer par un travail constant et opiniâtre, ils perdraient leurs peines. Leurs œuvres, fussent-elles égales aux œuvres françaises — je parle des œuvres exclusivement littéraires — ne trouveraient pas cent lecteurs, et, sur cent lecteurs, elles n’en trouveraient pas dix qui les jugeraient sans passion et sans jalousie.

Enfin j’ai tout fait et je n’ai rien fait. J’ai trente ans et, découragé, démoralisé, désenchanté, je me suis dit : Ne trouves-tu pas, mon pauvre garçon, que tu as fait fausse route ?