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NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.

de génie et même de bon goût. Érasme, il est vrai, avait publié ses Adages, et Budé son traité de Asse, ouvrages étonnants qui éclairaient enfin la nuit de l’antiquité, et qui déployaient la plus vaste connaissance des littératures grecque et romaine. Mais il n’avait pas encore paru de création plus originale, plus brillante que celle de l’Utopie ; l’on ne pouvait rien lire, ni de plus fortement pensé, ni de plus facilement écrit.

Thomas Morus était déjà connu des gens de lettres par de petites comédies, des dialogues, des épigrammes en latin et en grec, qui ne sont pas sans mérite. Son latin, plus vif et plus coulant que celui de Budé, ne le cède qu’à celui d’Érasme ; sa phrase est parfois obscure et embarrassée ; mais elle crépite çà et là de traits étincelants qui frappent l’attention et la réveillent.

Les principes exposés dans l’Utopie ne causèrent aucun ombrage aux pouvoirs politiques d’alors ; il paraît, au contraire, que ce livre fut très bien accueilli du cardinal Wolsey et du roi Henri VIII, puisque le crédit et la fortune de son auteur ne firent qu’aller croissant. Au reste, Henri VIII ne pouvait guère s’offenser de l’accusation d’avarice appliquée au roi son père, ni de la satire du gouvernement français. Si Thomas Morus détruisait le clergé, la noblesse, la monarchie héréditaire et absolue, tout cela n’était aux yeux de ce prince qu’une ingénieuse hypothèse impossible à réaliser ; d’ailleurs, le péril était trop éloigné pour avoir peur. Et puis, les questions théologiques absorbaient exclusivement les esprits ; Luther était là, qui s’apprêtait à secouer l’Europe ; or, la réforme re-