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32                     l’Utopie,
» ſon bien; ou, pour toute grâce, on le
» force, par des vexations inouïes , à ſe dé-
» faire, même à vil prix, du ſeul champ que
» lui ont tranſmis ſes pères (1).
     « Quel tableau pour une ame ſenſible que
» la vue de ces infortunes, que l’on contraint,
» n’importe comment, de déguerpir du ſeul
» petit coin qu’ils occupaient ſur la terre?
» Regardez ces femmes baignées de larmes,
» ces nouveaux époux déſolés; regardez ces
» vieillards courbés ſous le poids des an-
» nées, ces enfans qu’ils traînent à leur ſuite,
» ces pères reſtés ſeuls, ces mères qui portent
» encore le deuil de leurs maris; ils ſont tous
» ſuivis d’une famille, plus nombreuſe qu’o-
» pulente, comme c’eſt la coutume à la cam-
» pagne, qui ne demande que des bras; tous
» déſertent , le cœur baigné d’amertume,
» tous s’enfuient, en ſanglotant, de leurs habi-
» tations chéries, de ces cabanes ſi long-
» temps heureuſes, où ils ont tant de fois,
» ſous les auſpices du travail & de la ſimple
» Nature, goûté les plaiſirs purs de l’inno-
     (1) Le tableau que Morus fait ici des ſpoliations
commiſes par les riches Seigneurs terriers , eſt applica-
ble aux abus qui ont lieu à cet égard en France auſſî
bien qu’en Angleterre.