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Livre I.

Empires ; eux ſeuls les élèvent au plus haut point de ſplendeur, ou les précipitent vers leur chûte. Or vous poſſédez ſi bien les intérêts des peuples ; vous joignez à cette connaiſſance un ſavoir ſi profond, que, ſans être exercé au maniement des affaires, vous feriez, à coup sûr, le Miniſtre le plus éclairé qu’un grand Roi pût choiſir. — Vous vous trompez, mon cher Morus, & ſur mon compte, & ſur l’idée que vous vous formez des choſes. Il eſt de fait d’abord que je n’ai point tous les talens que vous me ſuppoſez ; mais quand je les poſſéderais, le ſacrifice que je ferais de ma liberté n’aurait jamais, pour le bien d’un Royaume, des ſuites auſſi heureuſes que vous vous l’imaginez. En effet, la plupart des Princes nés avec une humeur belliqueuſe, ſont plus adonnés à l’art de la guerre, dont je n’ai nulle teinture, & que je ne veux pas même apprendre, qu’attentifs à faire fleurir dans leurs Etats la paix, le commerce, & l’abondance ; ils ſont plus jaloux de conquérir, à quelque prix que ce ſoi, de nouvelles provinces, que de bien gouverner celles dont le Ciel les fit maîtres. Sans parler ici de ces rampans adulateurs qui, pour s’inſinuer dans les bonnes grâces d’un favori, prodiguent des éloges outrés