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jouer un jeu serré contre l’inspecteur. Si j’avais perdu à ce jeu terrible, c’était la faute de mon métier, de cette sorte d’hypnose dans laquelle nous plonge une feuille blanche, nous autres écrivains.

Maintenant, tout était fini.

Une immense lassitude m’envahit :

— Arrêtez-moi, inspecteur… Je vous ai tout dit… Je suis une criminelle.

Sans un mot, il m’avait écouté. Aucune impression ne se reflétait sur son visage impassible.

Enfin, il poussa un soupir et se leva :

— Je suis obligé de faire mon devoir, conclut-il, c’est-à-dire de vous remettre entre les mains de la Justice… Il y a eu crime, il faut donc un jugement… mais pour les cas de légitime défense le jury prévoit habituellement l’acquittement.

Je le considérai, effarée, pensant qu’il plaisantait sinistrement.

— Je parle sérieusement, reprit-il, comprenant mon regard… Je crois pouvoir vous assurer que cette affaire ne comportera pour vous d’autres tracas que son mauvais souvenir… Car, à mon tour je dois vous faire une confidence : l’homme que vous avez tué est un des plus dangereux aventuriers d’Afrique du Nord, recherché par un peu toutes les polices du continent pour trafics divers : haschich, coco, traite de blanches, etc… et autres crimes tout aussi crapuleux… Si bien qu’en réalité, c’est plutôt un remerciement que la Cour devrait vous adresser… non sans vous recommander d’être à l’avenir un peu plus circonspecte dans vos relations… éphémères… Alors, continua-t-il, ce type ne jouait vraiment pas du piano… Parce que, voyez-vous, j’avais remarqué qu’il ne devait pas savoir en jouer… Un vrai pianiste ne garde pas les mains en dedans… Seulement, quand vous terminerez votre confession et que « Le Soir » publiera votre roman policier vécu, vous en aurez au moins le titre tout trouvé.

— Je ne vois pas trop.

— « Pourquoi le mort jouait-il du piano » ? Je suis sûr que ça intriguera le lecteur.

FIN