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tous les cas, ce n’est pas un habitué, cela je puis le certifier…

— Et que vous a encore dit l’inspecteur ? Vous a-t-il parlé de moi ?

— Non. D’ailleurs, vous savez, toutes ces histoires, j’ai pour principe de ne jamais m’en mêler. D’ailleurs, en tant que journaliste, vous devez connaître suffisamment notre milieu pour n’en pas ignorer les règles et les usages… Mais après tout, parce que vous êtes une amie de Pierrot et que je me mets à votre place, je veux bien vous dire que je me rappelle très bien avoir vu ce type ici, il y a trois ou quatre jours… Il était seul et semblait ne connaître personne.

Tout d’abord on l’a pris pour quelque « mouche », mais il n’en avait pas le genre… D’ailleurs, on a bien vu qu’on s’était trompé…

— À quoi avez-vous vu cela ? m’enquis-je.

— À rien… À cet instinct que nous avons, nous autres… Et puis, Coco, le barman pourra vous dire que le type avait un portefeuille marocain en cuir rouge, brodé de fils d’or… Vous savez… Il a même cru apercevoir une photo…

— Une photo ! repris-je intéressée… De qui ?

— Coco n’a pas pu bien voir. Elle était à demi cachée par les papiers… Probablement son portrait. Mais, foi d’Antonio, c’est là tout ce qu’on peut vous en dire…

— Et vous ne savez pas pourquoi il s’est arrêté chez vous. D’où il venait… Où il allait ?

— Non…

Je ne poussai pas davantage l’entretien. Je sentais fort bien que cet homme m’avait dit, sinon tout ce qu’il savait, du moins tout ce qu’il « pouvait ». Insister ne m’eût rien appris, peut-être même eût-ce été dangereux…

Je sortis. Les trois partenaires d’Antonio devisaient, en attendant son retour. Leurs prunelles s’accrochèrent à moi avec plus d’insistance. Je me hâtai de franchir la porte et poussai un soupir…

Je fis le point. Au fond, ces hommes ne m’avaient rien appris de nouveau, néanmoins ils venaient de me donner matière à mon premier article…

Négligeant de déjeuner, je passai aussitôt au journal et rédigeai mon « papier » de tête. Il était facile. Je n’avais qu’à me laisser aller à décrire mes émois et mes transes de la nuit en insistant sur le dramatique mystère qui enveloppait tout ce meurtre…

Je déposai ma copie et rentrai chez moi.

Dans l’après-midi, je reçus la visite de l’inspecteur Delbarre. Il venait pour un complément d’enquête.

Delbarre fut correct et froid. Son regard posé sur moi me gênait…

— Je suis allé ce matin à l’  « Antilope-Bar », commença-t-il sans préambule… Je connais particulièrement bien Antonio et sa clique… J’ai déjà eu affaire avec eux… Pourtant, malgré qu’il ne soit guère facile d’apprendre quelque chose de ces gens là, je crois pouvoir être certain que la victime n’est pas un habitué de l’ « Antilope »… Un client de passage vraisemblablement, sans plus… Inconnu d’eux ou du moins, paraissant tel…