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res j’étais demeurée à chercher tous les moyens possibles de prouver mon innocence.

C’est dans un tel état d’esprit que, brisée par la fatigue et l’émotion, le sommeil s’était insensiblement emparé de moi.

Je passai la main sur mon visage, dont je sentais les traits tirés, le front fiévreux. Mes cheveux étaient en désordre et mon tailleur, couvert de faux plis…

Toute l’assurance qui m’avait dressée contre l’inspecteur avait disparu… Je me sentis seule, menacée…

Jean Rivoire, rédacteur en chef du « Soir », venait à peine d’arriver dans son bureau et de prendre connaissance des dernières nouvelles de la nuit, quand je fis irruption. Il était dix heures.

En me voyant entrer si tôt chez lui, il ouvrit des yeux effarés :

— Vous, Nicole ! Mais qu’arrive-t-il ?

En quelques phrases brèves, je le mis au courant.

— Mais c’est magnifique, s’exclama-t-il, en tapant des deux mains sur son bureau… Sensationnel ! ma petite…

— En effet, lui dis-je avec amertume… Comme vous le dites, c’est sensationnel ; mais j’aurais préféré, certes, que cela le fut un peu moins… pour moi !

— Comment ! Mais vous êtes folle ! Un reportage comme jamais peut-être on n’en aura écrit… Quel succès ! Songez-y… Un meurtre chez vous… Tous vos confrères vont se trouver mal de jalousie.

— Et pour une fois, ce sera moi qui les envierai !

— Voyons, Nicole, reprenez votre calme… Je comprends que tout cela soit très désagréable par certains côtés ; mais qu’avez-vous à redouter ?

— Tout ! lui répondis-je.

Il éclata de rire.

— Vous n’allez quand même pas avoir peur d’être accusée ! Voyez-vous, Nicole, malgré tous les ennuis que cela vous attirera naturellement : confrontations, témoignages, enquêtes… c’est pour vous la grande vedette…

— Non, lui dis-je, c’est au-dessus de mes forces. Je ne pourrai jamais entreprendre un tel reportage. Mes nerfs n’y résisteraient pas…

— En voilà un langage, pour une journaliste qui a fait ses preuves… Vous avez couru aux quatre coins du monde ; traversé des difficultés autrement sérieuses, et vous refusez, aujourd’hui, de… Songez que c’est pourtant le meilleur moyen de n’être pas inquiétée ! Comment la police pourrait-elle avoir l’aplomb de se retourner contre vous qui précisément, au vu et su du public menez une enquête destinée à faire découvrir l’assassin ?

Je compris que Rivoire avait raison et que ma première idée avait été bonne. En effet, le meilleur moyen de sortir indemne de cette affaire, était de payer de ma personne et de mener, moi aussi, une enquête comme j’en avais menacé l’inspecteur…