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solde qu’ils reçoivent. Tous ses sujets portent les armes, à la réserve des artisans & des laboureurs. Leurs principales armes sont des zagayes ou demi lances. Les gentilshommes portent l’épée, mais ils s’en servent peu ; la poignée est ordinairement d’argent, & le fourreau couvert de quelque riche étoffe : ils tiennent leur épée à la main pendant qu’ils parlent à quelqu’un, ou lorsqu’ils se promenent ; mais un de leurs valets la porte sous le bras, quand ils vont par les rues. Les armées que l’empereur d’Abissinie met en campagne sont ordinairement d’environ 35000 hommes de pied, & de 5000 chevaux, dont il y a bien 1500 de la taille & de la force des genets d’Espagne. On fait état dans ces troupes de 1000 mousquetaires entrenus, mais il ne s’en trouve guères que 500 quand l’armée est en marche. Le terrein qu’occupe leur camp est d’une prodigieuse grandeur : car le nombre des vivandiers & des autres gens qui suivent l’armée, est deux fois plus grand que celui des soldats.

L’empereur & l’impératrice vont à la guerre avec toute leur maison. Tous les grands seigneurs & toutes les dames de la cour les accompagnent. Les tentes sont rangées dans un très-bel ordre ; les quatre ou cinq tentes de l’empereur sont dressées au milieu du camp, avec deux autres qui servent d’églises ; plus loin sont celles de l’impératrice & des dames, des grands officiers, des chefs de l’armée, des officiers & des soldats disposés à l’avant-garde, à l’arriere-garde, & sur les aîles. En paix ou en guerre le camp de l’empereur est comme la ville capitale de l’empire ; car il n’y a point dans l’Abissinie de ville où il fasse son séjour. Accum ou Auxum y étoit anciennement célebre,parceque les empereurs y ont autrefois tenu leur cour : on les y couronne encore aujourd’hui. Auxum n’est plus qu’un village d’environ cent feux, situé à trois leues de Fremone, & environ à quarante-cinq de Maçua, sous la hauteur de quatorze degrés trente minutes ; on y voit des ruines d’anciens édifices, & d’une église qui paroît avoir été magnifique, avec des obélisques ou pyramides, qui servoient d’ornement aux sépulcres des princes. L’empereur change presque tous les ans de demeure ; quelquefois pourtant il s’arrête pendant plusieurs années en un meme lieu ; lorsqu’il change de séjour on transporte aussitôt tout ce qui sert à l’église. Quatre prêtres sont employés à porter l’autel sur lequel on dit la messe. Cet autel a la forme de l’arche de l’ancien testament, que les Abissins prétendent être encore aujourd’hui dans l’église d’Auxum. Quoiqu’il n’y ait point de villes dans la haute Ethiopie, il y a néanmoins un si grand nombre de villages dans certaines provinces, qu’il semble que toute la campagne ne soit qu’une ville, tant ils sont bâtis près l’un de l’autre. Les maisons ou cabanes n’ont qu’un étage, & ces peuples regardent comme une merveille les édifices qui en ont deux. Le P. Paëz, Jésuite, fit bâtir un sacala ou palais de pierre, â la maniere des Européens, sur le bord du lac de Dambea, pour servir d’église ; & ce bâtiment ne fut pas seulement admiré en ce temps-là ; mais encore tous les jours, les Ethiopiens le vont voir des extrémités de l’empire, & l’appellent Babet-Laybet, c’est-à-dire, maison sur maison. L’empereur porte une couronne ou toque, couverte d’ornemens d’or ou d’argent, avec quelques perles ; car on ne connoît point là d’autres pierreries. Il tient une petite croix à la main, qui n’est pas un sceptre, comme quelques-uns ont dit, mais une marque de l’ordre de diacre, qu’il prend toujours, afin qu’il lui soit permis de communier avec les prêtres dans le chœur des églises, & non dans la nef comme font les séculiers. Les grands seigneurs même portent aussi certe sorte de croix pour le même sujet. Autrefois l’empereur ne paroissoit point devant ses sujets, & lorsqu’il mangeoit, il y avoit un rideau tiré devant lui, de sorte que personne ne le voyoit, sinon deux ou trois pages qui le servoient à table. A présent le prince se rend visible, principalement à ses troupes.

Religion Des Abissins.

Ces peuples se vantent d’avoir été instruits en la véritable religion par deux de leurs reines, Macqueda & Candace. La premiere sous le nom de la reine de Saba, leur apprit les mysteres de la loi judaïque, & l’autre ceux de la foi de Jesus-Christ. Jean de Barros, François Alvarez, Ortelius, Vechiet, Malvenda, & quelques autres, ont écrit conformément à la tradition des Abissins, que Macqueda leur reine eut de Salomon un fils, que quelques-uns nomment David, & d’autres Melic ou Menilehec, & que ce prince regna après sa mere. Ils osent dire que c’est de celle-ci dont Salomon a dit dans le cantique des cantiques : Nigra sum, sed formosa, filiæ Jerusalem ; ideò dilexit me rex, &c. & que ce prince la fit accompagner par 12000 Israélites, dont il tira 1000 de chaque tribu. Ils ajoutent qu’étant accouchée de ce fils nommé Menilech, fils du sage, elle l’envoya à Salomon, pour le faire élever dans la religion des Juifs, ce qu’il fit ; & qu’ensuite ce roi l’envoya chargé de présens, sous la conduite de Sadoc, fils d’Azarias, & de divers autres docteurs, qui maintinrent la loi judaïque parmi les Abissins. Ces fables sont soutenues par d’autres aussi ridicules, & c’est avec raison que Pineda blâme Malvenda d’avoir donné dans de semblables contes. En effet, outre que ni Joféphe, ni les autres auteurs anciens ne parlent point de ces avantures extraordinaires, il est certain que les Abissins ont été les peuples du monde les plus superstitieux, & qui ont eu le plus de penchant à l’idolâtrie. Ils adoroient le soleil levant, & ils maudissoient cet astre à son couchant. On dit même que leurs prêtres obligeoient jusqu’à leurs rois de se tuer, en leur faisant croire que Jupiter ne vouloit pas qu’ils vécussent davantage. Diodore de Sicile nous apprend qu’un roi d’Egypte extermina ces misérables prêtres. Quoi qu’il en soit, s’il est vrai qu’ils aient reçu la religion des Juifs, ce n’a pas été pour longtemps. Il est plus probable que l’eunuque de la reine Candace baptisé par le diacre Philippe a été leur apôtre. Divers auteurs le rapportent. Dans la suite des temps ils furent pervertis par des hérétiques, & sur-tout par ceux de la secte d’Eutychès & de Dioscore qui vivoient sous un patriarche Jacobite. On dit qu’ils donnoient la circoncision, même aux femmes ; qu’ils baptisoient les enfans mâles à quarante jours, & les filles à soixante ; que cette cérémonie ne se pouvoit faire que le dimanche ou le samedi, qui étoient les jours ausquels on disoit la messe, & qu’on donnoit l’eucharistie aux petits enfans. Ils ont suivi presque tous la foi orthodoxe, après avoir été instruits par les missionaires qui ont suivi les Portugais dans leurs conquêtes, depuis la fin du XV siécle. On assure qu’ils avoient parmi eux un très-grand nombre de religieux de S. Antoine, avec des églises bien ornées. Vers l’an 1177 les Abissins envoyerent des ambassadeurs au pape Alexandre III. Ils en ont depuis envoyé à Clément V, au concile de Florence, à Clément VII, & à d’autres papes qui ont reçu la soumission qu’ils rendoient à l’église romaine, & leur ont donné des métropolitains. Jean Bermades fut fait parriarche d’Ethiopie, & fut sacré à Rome à la sollicitation des Abissins. Ils feignirent de ne vouloir plus avoir d’autres métropolitains à l’avenir que ceux qui leur seroient envoyés de Rome ; mais aussitôt que leurs affaires furent en meilleur état, ils rejetterent ces patriarches, pour se conformer à leur ancien usage, suivant lequel ils reçoivent leur métropolitain du patriarche d’Alexandrie, résidant au grand Caire, comme il est porté dans le canon arabe faussement attribué au concile de Nicée. Ils comptent cent seize métropolitains reçus des patriarches d’Alexandrie, depuis Frumentius, qui fut envoyé par S. Athanase. Ils suivent la religion des cophtes, ou chrétiens d’Egypte. Ils ont une langue