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bien moins difficiles à résoudre. Qui peut s’imaginer, dit-il, que le roi d’Edesse, sur le simple récit qu’on lui avoit fait des miracles de Jesus-Christ, soit d’abord persuadé de sa divinité ? Mais en vérité est-ce une chose impossible qu’Abgar, instruit par la renommée des merveilles éclatantes de la vie de Jesus-Christ, ait cru en lui, lorsque les démons même publioient qu’il étoit le fils de Dieu ? Prétend-on ainsi borner le pouvoir de la grâce sur les cœurs, & l’effet de ces paroles prononcées par J.C. lui-même : Heureux ceux qui n’ont point vu, & qui ont cru ? Enfin quelle extravagance, poursuit M. Du-Pin, de faire dire à ce petit roi, qu’il eût fait la guerre aux Juifs sans la crainte des Romains ? Mais il n’y a rien de cela dans la lettre d’Abgar.

Ce sont-là les réponses de M. de Tillemont aux conjectures alléguées par M. Du-Pin. On laisse à juger si elles levent entierement les difficultés proposées par le dernier. L’autorité d’Eusebe n’est pas à considérer sur cette histoire, car il est visible qu’il ne rapporte ce fait que sur la foi de quelques archives prétendues de l’église d’Edesse : on sait combien ces sortes de monumens sont sujets à caution dans des histoires de cette nature. Il est visible que ce qui est dit dans la lettre attribuée à Jesus-Christ, est une allusion aux paroles de Jesus-Christ à S. Thomas : Heureux ceux qui n’ont point ru & qui ont cru : & il n’y a rien de semblable dans les deux passages d’Isaïe cités par M. de Tillemont ; au contraire, il y est marqué que ceux qui ne connoissoient pas le Seigneur, & qui ne le cherchoient pas, l’ont vu, & l’ont trouvé. La réforme de M. de Tillemont de la date de l’an 340 n’est fondée sur aucune autorité, & le texte d’Eusebe porte expressément 340. Ce ne peut être que pour accorder cette histoire avec l’evangile, que les traducteurs ont changé 340 en 43. Quelque bon chronologiste qu’ait été Eusébe, il se peut faire qu’il n’ait pas fait d’attention à l’anachronisme du mémoire qui lui avoit été fourni. Ce que l’on fait écrire par Abgar à Jesus-Christ sur le simple récit qu’on lui avoit fait des miracles de Jesus-Christ : Je suis persuadé que vous êtes Dieu, ou Fils de Dieu, marque visiblement que c’est un chrétien qui fait parler Abgar à peu près comme il parleroit lui-même ; & il n’y a point d’apparence qu’un prince qui n’avoit point la connoissance du vrai Dieu, ait eu ces sentimens, & se soit servi de ces expressions. Quelque zèle que pût avoir Abgar, quand Thadée le vint trouver, on ne peut nier qu’il n’y ait beaucoup d’affectation dans les paroles qu’on lui met à la bouche, & qu’elles ne soient plutôt de l’invention d’un conteur de fables, que l’expression naturelle des sentimens d’un prince.

Reste à parler d’une image que l’on prétend avcur été faite de la main de Dieu, & avoir été envoyée par Jesus-Christ au roi Abgar. Eusebe n’avoit rien trouvé sur cette image dans les actes de la ville d’Edesse, & il n’en fait aucune mention dans son histoire. Evagre est le premier qui en ait parlé, liv. 4 de son histoire, c. 27, où il rapporte qu’Edesse étant assiégée par Cosrhoès, les assiégés porterent cette image sur les murs de leur ville, d’où elle opéra un miracle, en mettant le feu au bois qui soutenoit le rempart que les ennemis avoient élevé pour entrer dans la ville. Le P. Combefis nous a donné en grec un traité attribué à Constantin Porphyrogenete, dont l’auteur rapporte la translation de cette image à Constantinople sous l’empereur Romain Lécapene ; mais c’est une piéce pleine de fables, & qui n’est d’aucune autorité. Cependant les Grecs ont institué une fête en l’honneur de cette image. Le comte Darius dans sa lettre à S. Augustin, parlant de la lettre de Jesus-Christ à Abgar, dit que Notre-Seigneur lui avoit déclaré que sa ville ne seroit jamais prise par ses ennemis, oracle que Procope prétendoit convaincre de faux dans son histoire. Evagre remarque qu’on ne lit point cela dans la lettre de Jesus-Christ à Abgar, quoique les chrétiens le croient communément, & que l’événement ait fait voir la vérité de cette prédiction : en quoi Evagre s’est trop avancé ; car outre que cette ville est tombée sous la puissance des Sarasins, & sous celle des Turcs, elle avoit été prise & brûlée par les Romains dès l’an de J.C. 116 ou 117 sous l’empire de Trajan. * Joséphe, antiq. l. 20. Eusebe, hist. eccles. l. 1, c. 13, & l. 2, c. 1. Le comte Darius, dans une épître à S. Augustin, p. 230, edit. Bened. Procop. de belle persic. l. 2, c. 12.Dio, l. 68. N. Alexandr. hist. eccles.t. 1. M. Du-Pin, biblioth. des aut. eccles. des trois premiers siécles. Tillemont, mémoires pour servir à l’hist. eccles tom. 1.

ABGAR, roi des Arabes, & souverain d’Edesse, se joignit sous l’empire de Claude aux seigneurs Parthes qui refusoient de reconnoître Gotarze, & avoient député secrétement à Rome pour avoir un autre roi. C. Cassius gouverneur de Syrie, conduisit par ordre du sénat, & mit entre leurs mains, Meherdate fils de Vonone, & petit-fils de Phraate. Abgar qui favorisoit secretement le parti de Gotarze, amusa quelque-temps Meherdate à Edesse, ensuite de quoi ils se joignirent avec Jazate roi de l’Adiabene. Mais lorsque Meherdate, après avoir pris Ninos ou Ninive, fut près de livrer bataille à Gotarze, ces deux traîtres l’abandonnerent & passerent du côté de l’ennemi : perfidie qui causa la ruine & la défaite de ce malheureux prince. * Tacit. annal. l. 12, c. 12, 13, & 14.

ABGAR, roi des Arabes & souverain d’Edesse, qui vivoit sous l’empire de Trajan, tâcha long-temps de se ménager entre les Romains & les Parthes ; & lorsque Trajan soumit l’Arménie l’an 107 de J.C. Abgar différa long-temps de l’aller trouver en personne, se contentant de lui envoyer des députés, & de lui faire des présens. Peut-être en eut-il été puni, si le prince Arbande son fils, qui avoit été trouver l’empereur, & qui s’étoit parfaitement bien mis dans son esprit, n’eût pris soin de l’appaiser. En effet, lorsque cet empereur vint à Edesse après sa victoire, il reçut les excuses d’Abgar, & le traita comme ami. * Dio, l. 68 & 69.

ABGAR, roi d’Edesse, qui vivoit sous l’empire d’Antonin le Pieux, vers l’an de Jesus-Christ 138, est peut-être fils du précédent, & le même que le prince Arbande dont nous venons de parler. Les auteurs nous le dépeignent comme un prince très-religieux, & l’on dit qu’il défendit aux Syriens de se faire eunuques pour servir leur déesse Ops, ou Rhea. * Epiphan. hœred. 56, c. 1. Euseb. prœparat. evang. l. 6.

ABGAR, roi d’Edesse, qui est apparemment successeur du précédent, mena du secours à l’empereur Severe dans son expédition contre les Parthes, & lui donna même ses enfans pour otage de sa fidélité, l’an de J.C. 197. Six ans après ce prince fit un voyage à Rome avec une suite si magnifique, qu’on ne feignit point de la comparer à celle de Tyridate sous Néron. Spartien s’est trompé, lorsqu’il a dit que ce prince avoit été vaincu & soumis par Severe. * Herodian. l. 3. Spartian, in vita Sever. Dio, l. 79.

ABGAR, roi d’Edesse & successeur du précédent, allié des Romains, fut arrêté en trahison par l’empereur Caracalla, qui l’avoit invité de le venir trouver comme ami. On le dépouilla de ses états, & il fut mené à Rome avec ses deux fils Abgar & Antonin. L’aîné y mourut à vingt-six ans, & son épitaphe, qui a été faite par son frere, est venue jusqu’à nous. Caracalla mit une colonie à Edesse ; ainsi l’on pouroit croire que ce royaume fut éteint dans ce temps-là, c’est-à-dire, l’an 216 de J.C

On trouve encore un portrait d’un Abgar avec une couronne ou thiare en tête sur le revers d’une médaille de l’empereur Gordien, qui regnoit vers l’an 240. D’ailleurs, George le Syncelle, après Jules Africain, parle d’un Abgar, qui regnoit encore à Edesse du temps d’Héliogabale. Cela pouroit faire conjecturer que le fils