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« Il y a peu de livres dans la république des lettres dont l’utilité s’étende plus loin que celle d’un Dictionnaire historique. Tout le monde en est convaincu par sa propre expérience, car quel plus grand secours pour ceux, qui, sans avoir la force d’essuyer les fatigues inséparables de l’étude, ne peuvent néanmoins se résoudre à tout ignorer ? Cherchent-ils à s’instruire d’un point d’Histoire ? l’ordre alphabétique le présente d’abord à la vue, & leur en dévelope les circonstances avec assez de netteté, pour leur donner lieu de s’en faire honneur dans les conversations, unique & foible avantage où se bornent la plupart d’entr’eux. Quoique les savans, beaucoup moins faciles à satisfaire, poussent ordinairement plus loin leurs recherches, ils ne trouveront pas moins leur compte dans l’usage de ce Dictionnaire. Ont-ils à se plaindre d’un défaut de mémoire ? un nom propre, une époque, un fait leur est-il échapé ? c’est-là qu’ils sont surs de le retrouver. Veulent-ils creuser & même épuiser une matiere ? les citations leur en facilitent les moyens, en leur apprenant quels auteurs ils doivent prendre pour guides. C’est envain qu’ils voudroient se flater ; quelque habiles qu’ils soient, ils ne peuvent tout savoir par eux-mêmes, & la vie n’est pas assez longue pour leur permettre d’embrasser tant de notions différentes. L’art seul étoit capable de suppléer à leur foiblesse, dans un ouvrage tel que celui-ci, où l’on a prétendu rassembler les connoissances de tous les siécles & de toutes les nations. Fable, histoire, & ce qui en dépend nécessairement ; religions, cérémonies, gouvernemens, mœurs, coutumes, événemens de paix & de guerre, généalogies, monumens de peinture, de sculpture, d’architecture, critique, productions d’esprit, tout est du ressort d’un Dictionnaire historique. Pour porter une si grande diversité de matieres à leur derniere perfection, il ne faudroit pas moins qu’un génie universel & infatigable, mais où le rencontrer ? De si grands efforts sont infiniment au-dessus des forces d’un seul homme. »

C’est ainsi que cet Éditeur s’étoit expliqué dans la préface qu’il mit à la tête de l’édition qui parut l’an 1699. « Dans la suite, chargé, dit-il, du soin d’une seconde révision & considérant le Dictionnaire historique, comme un vaste bâtiment, composé de plusieurs parties inégales & bizarement assemblées, il commença par former un plan sur lequel il pût travailler surement, & crut devoir pressentir le gout du public, en lui communiquant un projet, que voici.

Les habiles gens sont trop instruits des défauts qui se trouvent dans le Dictionnaire de Moréri, pour ne pas souhaiter qu’on s’applique sérieusement à les réformer. On a tenté plusieurs fois de le faire, soit en Hollande, soit à Paris, & toujours avec trop peu de succès, pour répondre à l’idée que les savans en avoient conçue. Il n’y aura pas lieu de s’en étonner, si l’on fait attention sur la maniere dont les quatre volumes de cet ouvrage ont été formés. Différentes personnes y ont travaillé à diverses fois, & les mémoires des uns & des autres y ont été employés indifféremment : de-là vient ce grand nombre de fautes & de contradictions, qui frapent les moins éclairés. Pour y remédier, il falloit reprendre cet ouvrage par le fonds, & garder un ordre certain dans la distribution des articles ; il falloit n’en laisser passer aucun, sans le vérifier sur les auteurs originaux, & c’est ce que l’on n’a point fait jusques ici. Ceux qui ont été chargés de revoir les éditions de Hollande, se sont contentés de corriger quelques fautes des plus sensibles. Peu soigneux d’entrer dans le détail de tous les articles, ils en ont épargné un très-grand nombre, où les bévues n’étoient pas moins fréquentes, que dans ceux qu’ils ont corrigés. A l’égard du fonds, ils ne s’en sont guères embarassés ; & ils ont cru nue ce seroit un travail trop étendu, d’y rétablir la chronologie sur un calcul uniforme, & d’y ranger les articles dans un ordre plus clair & plus précis.

L’engagement où je me suis trouvé de revoir après eux le Dictionnaire historique, dans l’Edition qui s’en est faite à Paris en 1699, m’avoit fait dresser une espece de plan, pour tâcher de rendre le corps de cet ouvrage plus régulier ; mais il me fut impossible de suivre ces idées, parceque l’impression étoit commencée lorsque je me chargeai de ce travail. Ainsi, pour éviter une trop grande inégalité, je me vis souvent contraint de m’en tenir au dessein sur lequel on avoit ébauché les premieres feuilles. D’ailleurs, j’avois trop peu de temps devant moi ; on imprimoit chaque jour deux feuilles & je m’étois imposé l’obligation de fournir à mesure les corrections & les augmentations que je jugeois les plus nécessaires : une si grande rapidité m’empêcha de profiter de mes réflexions. Aujourd’hui que la carriere m’est ouverte de plus loin, je vais rassembler quelques remarques dans ce projet, que j’abandonne à la critique : prêt à réformer mes idées, lorsqu’on m’en fera connoître le défaut, & résolu de mettre en œuvre les nouvelles découvertes qu’on voudra bien me communiquer.»

I. Je commence par la Chronologie. Pour peu que l’on ait fait de progrès dans l’Histoire on sait assez qu’à moins de l’y prendre pour guide, on est à tout moment en danger de s’égarer. Si cette science est utile dans une histoire complette dont la suite & l’enchaînement semblent marquer à peu près la date des faits qui y sont rapportés, elle est absolument nécessaire dans un ouvrage tel que celui-ci où les évenemens de plusieurs