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génération : ce dédain des sentiments qui constituent le fond de la vie morale, ce névrosiaque besoin de s’isoler du reste des hommes, cette façon d’entendre l’art comme un dilettantisme à la portée exclusive de quelques raffinés, ces affectations de corruption et d’horreur, tout cela est en germe dans les Jeune-France de 1835. De Gautier à Baudelaire, de Baudelaire au Parnasse, du Parnasse au décadent, on voit grandir et se préciser cette infatuation de l’artiste qui le détourne de la source des grandes inspirations et le rabaisse au rang d’un simple virtuose. Le romantisme épuisé a donné cette dernière petite fleur, une fleur de fin de saison, maladive et bizarre. C’est sûrement une décadence, mais seulement celle d’une école qui se meurt. Les essais que font ces poètes sur la langue sont plus nouveaux en notre pays que leurs sentiments et leurs opinions. Cependant voilà longtemps déjà qu’en Angleterre une école célèbre cherche dans les mots une musique, des couleurs et des parfums, et je ne vois pas qu’on parle de décadence anglaise. Si un grand homme survenait, peut-être le procédé de l’analogie lui inspirerait-il des chefs-d’œuvre ; auquel cas nous n’aurions qu’à bénir l’analogie. Avec les grands hommes, il faut s’attendre à tout. Mais, tant que M. Stéphane Mallarmé restera le plus haut représentant de la poésie nouvelle, vous pouvez dormir tranquille sur votre Littré, elle ne sera jamais contagieuse.

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paul bourde.