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Encore une universelle : Julie-Amélie Candeille, que nous avons entrevue à l’affaire des Vivandières. Fille d’un chanteur de l’Opéra, ce fut d’abord à ce théâtre qu’elle fut engagée, dès l’âge de quinze ans. Puis, élève de Molé, elle débuta à la Comédie-Française en 1785, fut reçue sociétaire à quart de part l’année suivante, passa aux Variétés du Palais-Royal et de là au théâtre de la République. Ce fut sur cette derniére scène qu’elle fit représenter, sous le voile de l’anonyme, le 27 octobre 1792, Catherine ou la Belle fermière, comédie en 3 actes, en prose, mêlée de chants, tirée d’un conte de Marmontel, et dont elle créa le principal rôle. Ce fut un grand succès : 144 représentations consécutives ! On attribua la paternité de l’ouvrage au conventionnel Vergniaud, son ami intime, comme au vicomte de Ségur son Commissionnaire de St-Lazare, pièce de circonstance qu’elle fit représenter en 1794 sur le théâtre de l’Égalité, rouvert par les comédiens sortis de prison à la chûte de Robespierre. Catherine est longtemps restée au répertoire, et, quand Madame Adam inaugurera son théâtre de Gif, la Belle Fermière devra nécessairement faire partie du programme. Avant de quitter le théâtre de la République, Mlle Candeille y fit encore représenter deux ouvrages, qui ne retrouvèrent pas le succès du premier : Bathilde ou le Duo, comédie en un acte, en prose, où l’auteur et Baptiste aîné exécutaient un duo de piano et violon, n’eut que 5 représentations, et la Bayadère ou le Français à Surate, sujet oriental, en 5 actes, en vers, dont elle créa le rôle principal, fut outrageusement sifflé ! Cette chûte fut la cause probable de sa retraite. Elle venait d’ailleurs d’épouser un jeune médecin, d’avec lequel elle divorça deux ans après. Remariée à un carrossier de Bruxelles, M. Simons, dans les circonstances que nous dirons plus loin, elle ne vécut pas quatre ans avec lui. La séparation volontaire dura près de 20 années, et, devenue veuve, Julie Candeille devint, en troisièmes noces, madame Périé. Auparavant, elle avait donné son dernier ouvrage scénique : Louise ou la Réconciliation, comédie en cinq actes, en prose, qui tomba sous une cabale montée — dit-on — par les élèves de l’École polytechnique. Dès lors, elle renonça au théâtre, et se jeta dans le roman. On lui doit même un Dictionnaire du Bonheur, qu’elle ne paraît pas avoir rencontré dans son existence agitée.

Comédienne passable, tragédienne médiocre, pianiste, harpiste et compositeur, auteur dramatique et romancière, Mlle Candeille fut l’amie de Champcenetz, de Girodet et de Méhul. On a prétendu qu’elle figurait en déesse Liberté aux fêtes de novembre 1793, à côté de Mlle Maillard, de l’Opéra, en déesse Raison. À la fois rêveuse, sentimentale et distraite, Mlle Candeille fut l’héroïne d’un quiproquo qui vaut la peine d’être conté : Un jour qu’elle dînait chez Mlle Contat, en nombreuse compagnie, elle était tombée dans une profonde rêverie et oubliait de manger. Sa camarade, en bonne maîtresse de maison, la pressa vivement d’accepter un morceau de gigot : « Tenez, lui dit-elle, il est bien ten-