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Le 23 janvier 1793, surlendemain de la mort du Roi, le théâtre de la République représentait une autre pièce de Mme de Gouges : l’Entrée du général Dumouriez à Bruxelles, ou les Vivandières, quatre actes en prose, avec marches, combats, évolutions militaires, etc. (il y avait même un éloge du fils du duc d’Orléans !) La pièce fut vertement sifflée. À la fin de la représentation, l’une des interprètes, Mlle Candeille (que nous retrouverons un peu plus loin, car elle est l’une de nos quarante) s’avançait pour nommer l’auteur, lorsqu’une femme, plus laide que vieille, parut aux premières loges, et s’écria « Citoyens, vous demandez l’auteur ? le voici : c’est moi, Olympe de Gouges ; si vous n’avez pas trouvé la pièce bonne, c’est que les acteurs l’ont horriblement massacrée ! » — À ces mots, les éclats de rire et les huées partent de tous côtés. Mlle Candeille, interdite, assure que ses camarades ont fait tous leurs efforts pour soutenir la pièce : « Vous avez bien joué, criait le public, indigné : c’est l’ouvrage qui est détestable ! » — Olympe de Gouges tenait tête à l’orage ; mais les spectateurs se répandirent dans les couloirs, l’accablèrent d’injures, et la suivirent jusque dans la rue en lui redemandant leur argent. Funestes effets de la vivacité méridionale : (Mme de Gouges était de Montauban). « Je suis née, a-t-elle confessé quelque part, avec un caractère emporté, avec un cœur trop sensible, qui m’ont entraîné souvent trop loin, et qui m’ont été bien nuisibles. Je me suis vue, avec de rares qualités, la victime des envieux, la proie des méchants. Mes vertus m’ont été plus funestes que des vices ! » Elle disait vrai, la pauvre agitée, qui — ne l’oublions pas — prit courageusement la défense de Louis XVI ; arrêtée quelques mois après la mort du Roi, elle fut traduite au tribunal révolutionnaire, condamnée à mort le 4 novembre, et exécutée le même jour.

Retournons au théâtre-Français du faubourg St-Germain avec Pauline, comédie en 2 actes, en vers, de madame la présidente Fleurieu, qui n’eut qu’une seule représentation, mais fut reprise l’année suivante au théâtre de la République, réduite en un acte, sous le titre de la Fille naturelle.

C’est encore au théâtre de la rive gauche que madame de Genlis donne Jean-Jacques Rousseau dans l’île de St-Pierre, drame en 5 actes et un prologue, en prose, attribué à de Sivry et représenté sous le pseudonyme de Boisjoslin le 15 décembre 1791. Nièce de madame de Montesson, qu’elle n’aimait pas, et, qui le lui rendait bien, la pédante Stéphanie-Félicité Ducrest de St-Aubin était née institutrice et gouvernante. Elle fut même gouverneur — du futur Louis-Philippe. Cette femme universelle qui, au total, n’a laissé que quelques ouvrages d’éducation, très-surfaits, dit-on, s’habillait en homme, montait à cheval, jouait la comédie, chantait avec le fameux Jélyotte, prenait des leçons de harpe de Gaiffre, d’accompagnement de Philidor, de danse de Deshayes (le maître des ballets des Comédies française et italienne). Nageuse intrépide, de première force sur la guitare et la mandoline, elle toucha à tout : poésie, médecine, anatomie, botanique ; s’introduisit chez Grimod de la Reynière ; fut l’amie de Sauyigny, de Gluck et de Buffon, l’ennemie des philosophes, des encyclopédistes et de M. de Voltaire, la protégée du fermier-général de La Popelinière. Elle s’aima beaucoup elle-même, prenait des bains de lait nuancé de feuilles de roses et, gourmande de louanges, elle eût dit volontiers, comme les enfants : « Donnez-m’en trop ! » Aussi vécut-elle 84 ans.