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Amie de la précédente, comme elle bienfaisante et bien douée, la comtesse Fanny de Beauharnais, née Mouchard, fit représenter, le 31 janvier 1787, la Fausse inconstance ou le Triomphe de l’honnêteté, comédie en cinq actes, dont les deux premiers furent à peine écoutés, et qui tomba sous les sifflets de la cabale à la fin du troisième. L’œuvre mort-née fut attribuée au chevalier de Cubières, l’un des « teinturiers » ordinaires de la comtesse :

Eglé, belle et poète, a deux petits travers :
Elle fait son visage, et ne fait pas ses vers !

disait une épigramme de Lebrun. Dorat surtout passait pour être l’auteur des ouvrages de Mme de Beauharnais ; aussi dit-on qu’elle fut affligée de la mort de son ami jusqu’à en « perdre l’esprit », quoique La Harpe eût déclaré que ses ouvrages étaient si mauvais qu’il n’y avait vraiment pas de raison pour les lui disputer.

Quoi qu’il en soit du mérite et de l’authenticité de ses œuvres c’était la meilleure femme du monde, élégante sans prétention, simple, douce et charitable : elle eut beaucoup d’amis, parmi lesquels Bailly, Buffon, Mably, Bitaubé, Dussaulx, Mercier, Restif de la Bretonne. Mariée en 1753 au comte de Beauharnais, elle fut la tante de Madame Bonaparte et la marraine d’Hortense.

Madame Du Frénoy, encore une nantaise, connue surtout par ses Élégies légèrement inspirées de Parny, fit représenter, l’année suivante, l’Amour exilé des cieux, comédie en un acte, en vers, qui n’ajoutera rien à sa gloire. Passons.

Aussi bien nous avons à nous arrêter davantage à la farouche Olympe de Gouges, fameuse par ses démêlés avec les Comédiens Français, qui osaient refuser ses extravagantes productions. Il faut lire sa brochure : les Comédiens démasqués ou Mme de Gouges ruinée par la Comédie-Française : « Les femmes qui ont eu le courage de se faire jouer sur votre théâtre, dit-elle, m’offrent un exemple effrayant des dangers que court mon sexe dans la carrière dramatique. On excuse volontiers les chûtes fréquentes qu’y font les hommes ; mais on ne veut pas qu’une femme s’expose à y réussir. » Cependant, les Comédiens français avaient reçu, et ils donnèrent le 28 octobre 1789, son drame intitulé : l’Esclavage des Nègres ou l’heureux naufrage, 3 actes en prose, avec divertissements. La première représentation fut très houleuse, et la pièce, dans laquelle jouait Talma, disparut de l’affiche après la troisième, ce qui fut très-fâcheux… pour la « Caisse Patriotique », qu’Olympe de Gouges avait fondée et au profit de laquelle elle avait consacré sa part d’auteur.