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LES QUARANTE DE LA COMÉDIE-FRANÇAISE


Avant-hier, soir de la première de Mademoiselle du Vigean, Mlle Simone Arnaud a été le quarantième auteur femme représenté sur la scène de la Comédie-Française depuis 1680, date officielle de sa fondation.

Quarante noms ! c’est peu pour deux siècles, et c’est aussi beaucoup si l’on songe que la moitié seule est connue, le quart célèbre, et que le musée de la Comédie lui-même n’a fait qu’à deux illustres les honneurs du marbre.

Voulez-vous que nous complétions la galerie ? Les expositions sont fort à la mode, et une revue rapide intéressera peut-être quelques curieux : nous n’en demandons pas davantage.

D’abord, au fronton de notre petite exhibition spéciale, nous graverons en lettres d’or cette parole menteuse de Sophocle :

Le Silence est l’ornement des Femmes

et nous placerons sous le péristyle les portraits de Madeleine Béjart, de madame de Villedieu et de Mme Deshoulières, toutes trois antérieures à notre cycle biséculaire.

Madeleine BÉJART, la grande amie de Molière, se mêlait déjà de poésie avant de prendre le parti du théâtre : témoins les vers signés d’elle qu’on lit en tête de l’Hercule mourant de Rotrou. Comédienne de la troupe de Monsieur, tantôt reine et tantôt soubrette, « elle raccommode » une vieille pièce de Guérin du Bouscal : Sancho Pança, qui fournit à son illustre camarade et associé Jean-Baptiste Poquelin l’occasion de se montrer au parterre du Palais-Royal, monté sur un âne.

Mme de Villedieu, de l’Académie des Ricovrati de Padoue, qui fut aussi l’amie de Molière et de La Fontaine, ne s’appelait encore que Mlle Hortense des Jardins quand elle fit représenter, sur le même théâtre, deux tragédies : Manlius Torquatus et Nitètis, et une tragi-comédie : le Favori ou la Coquette, sur laquelle elle se fit avancer trente pistoles pour aller rejoindre en poste son futur mari, M. de Villedieu, de passage à Avignon pour l’entreprise de Gigery. Fut-elle, après cette équipée, une épouse modèle ? Tallemant des Réaux paraît affirmer le contraire.

Encore un membre de l’Académie de Padoue et — de plus — de celle d’Arles : la célèbre Mme Deshoulières, la « dixième muse », la « Calliope française », élève du poète Hesnaut, gassendiste comme Molière, amie des deux Corneille, du duc de Montausier, du maréchal de Vivonne. Ce fut sur le trépas du chien de ce dernier qu’elle et sa fille, Antoinette-Thérèse Deshoulières, composèrent la tragédie burlesque intitulée : la Mort de Cochon. Mme Deshoulieres avait pris parti pour Pradon contre Racine dans la querelle des deux Phèdre. Cela ne porta pas bonheur à son Genséric roi des Vandales, la dernière tragédie tombée sur l’hôtel de Bourgogne avant sa suppression. Genséric est oublié, mais l’idylle des Moutons : « Dans ces prés fleuris qu’arrose la Seine » (qui peut-être n’est pas de Mme Deshoulières) fera vivre son nom dans les anthologies. « Retournez à vos moutons ! » avait dit, en sortant de l’Hôtel, un spectateur mécontent. Et, de fait, la pastorale était bien le lot de Mme Deshoulières, qui s’appela successivement Amaryllis et Célimène dans le pays du Tendre. Elle a sa place au Parnasse français et au Temple du Goût.

Nous entrons maintenant dans la galerie proprement dite avec Mlle de Longchamp,