Page:Montreuil - Le secret de Zilda, conte canadien, paru dans Mon Magazine, février 1926.djvu/18

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nos malheurs. Je donnerai à la malheureuse victime de l’inconséquence de ma pauvre femme tout ce que je possède et j’irai planter ma tente sur la terre étrangère. »

— « Mais c’est la ruine pour vous et votre enfant », remarqua le curé,

— « Je le sais, mais cet homme dont la vie a été ruinée, mérite bien un tel dédommagement. Je suis encore assez jeune pour me refaire une situation ailleurs, même si je dois pour cela m’imposer quelques sacrifices ; s’il faut souffrir, je souffrirai : j’expierai pour elle, la pauvre enfant qui a payé du repos de toute sa vie la faute de n’avoir pas su résister à une première tentation. Pourtant, ajouta-t-il, en s’adressant au prêtre, vous savez comme elle était bonne ».

— « Vous avez raison, répondit le brave homme, mais elle était sans méfiance, et c’est toujours lorsque l’on ne se méfie pas que le démon triomphe de nous ».

IX


Une dizaine de jours après cette soirée de lugubre découverte, un train qui parlait pour les États-Unis emportait deux hommes, qui sans se connaître avaient été liés, par des chaînes différentes, au même drame tragique. L’un voyageant en première, était accompagné d’une fillette de quatre ou cinq ans, qui ne cessait de réclamer sa mère ; l’autre qui semblait un ouvrier, vieilli avant l’âge, assis en deuxième classe, demeurait indifférent à tout ce qui l’entourait et obsédé seulement par une pensée inexprimée, espérance ou souvenir, qui faisait passer tour à tour sur son visage fané un nuage de haineuse tristesse ou d’inquiète impatience.

Le premier était le docteur Nolier, qui s’en allait vers l’inconnu ensevelir ses souvenirs et ses regrets, l’autre, l’ex-forçat, Pierre Nado, libéré de la veille, et qui s’empressait à rejoindre, dans une ville manufacturière des États Unis, sa famille, qui s’y était réfugiée, après sa condamnation. Et l’un et l’autre de ces hommes que le crime de la malheureuse Zilda avait marqués d’une honte immérité, se demandaient ce qui les attendait à la fin de leur voyage.

Par la souffrance, ces deux inconnus étaient frères ; un même malheur avait creusé pour les deux un enfer moral : l’un venait d’en sortir, l’autre y entrait.