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SOUVENIRS

prit évoque le formidable duel où l’Europe coalisée eut raison de l’Empire français. Un panorama indique l’emplacement et le mouvement des armées, comme une gigantesque image d’Épinal. Aujourd’hui ce tourment s’est apaisé. La plaine a revécu mais elle garde quelque chose de morne, de vide.

Les fermes, qui ont subi le choc, qui y ont assisté, sont encore là, impassibles sous nos regards.

Nous allons à Louvain où tant d’édifices et d’immeubles neufs ou reconstruits révèlent la brutalité de l’agression allemande et la victoire d’une volonté de relèvement. Nous eussions aimé saluer le recteur de l’Université ressuscitée, elle aussi, de ses ruines. Il est absent. Nous revenons vers Bruxelles par la route qui traverse une région agricole ; nous avons l’impression d’un jardin que le paysan aurait dessiné comme un peintre son tableau. De grands arbres courent le long des canaux.

Nous arrêtons au Saulchoir revoir le révérend père Lamarche qui vit dans la studieuse solitude de ce cloître dominicain. Quel aimable et saint homme ! Admirable orateur, poète aussi, il a prêché avec grand succès deux carêmes, à Bruxelles et à Louvain. Il nous reconduit à la gare : promenade heureuse et si confiante.

Bruges, sous la pluie, garde son charme de ville apaisée et lointaine. Les dentellières, sur le pas des portes, dans des rues étroites, travaillent, les yeux baissés et les mains alertes. J’écoute : on dirait le bruit empressé de minuscules sabots, l’écho d’une troupe d’enfants ou de fées.

Je revois le béguinage, un peu plus abandonné, ses petites maisons grises et sa cour intérieure où l’herbe croît. L’église est silencieuse, avec son maître-autel noir et gris et un parfum de vieux