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ACADÉMICIEN

blesse. La France même, notre foyer, n’est pas sans avoir sacrifié à ce qui n’est pour elle, par bonheur, qu’une mode, le goût d’un jour. Des auteurs français ont repris notre mot d’ordre contre le même envahisseur, qui a gagné les sports, les cercles, et qui atteint, dans les couches plus profondes, la syntaxe et l’esprit. Nous n’avons aucun droit de nous en attrister, mais songez au formidable argument que cela nous offre ; plus encore, au danger que cela fait courir à notre résolution.

La France est riche, sa langue est une parure et non une cuirasse ; elle peut se permettre des fantaisies que nous écartons comme un signe de mort. Nous vivons loin de l’Angleterre, mais chez elle encore, au sein d’une population dont les millions s’additionnent avec la rapidité des inventions dans le domaine scientifique. Cent vingt millions d’hommes, quel bourdonnement, grandi jusqu’à la clameur de tout ce qui se parle comme de tout ce qui s’imprime, de tous les mots anciens et de tous les mots nouveaux qu’une civilisation de quantité, de mécanisme et de découvertes, fabrique pour désigner des choses dont nous nous servons avant que la France officielle, j’entends le peuple, ne les ait nommées.

Devant l’invasion des infiniment nombreux, sous l’étreinte prochaine, presque fatale, notre langue a tenu. Elle s’est perpétuée avec la race, en gaieté, sans autre souci que d’exprimer, sans autre principe que la discipline instinctive de la vie. Des mots étrangers qu’elle a accueillis, chemin faisant, il en est qu’elle n’a pas voulu toucher, comme pour leur conserver leur physionomie d’intrus ; mais elle a transformé les autres à sa manière, s’amusant à coiffer leur royauté shakespearienne d’un bonnet