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ACADÉMICIEN

damnée par la volonté royale à ne connaître que la liberté d’une tradition. Or, le français occupait au Canada le siège de l’administration et possédait la force de la loi, et c’était déjà une raison pour qu’il s’imposât, et qui eût suffi à sa généralisation si, par surcroît, la population n’avait pas été obligée de le connaître pour s’harmoniser.

Notre langue est émaillée de vieux mots « natifs du cœur de la France » ainsi que disait Henri Étienne, et de provincialismes. Les uns sont très anciens et gardent l’empreinte romane, presque latine : ils sont ensevelis dans les vieux auteurs qu’on ne lit plus guère si ce n’est à travers des notes marginales, souvent fastidieuses, ou dans des œuvres comme la Chanson de Roland ou le Roman de la Rose auxquelles ils empruntent à la fois le charme et l’immortalité.

D’autres prennent place encore dans les dictionnaires, mais avec la mention vieilli qui les grandit jusqu’à la poésie, ou gardent comme seule originalité la prononciation du grand siècle. D’autres enfin sont ignorés de ceux qui continuent à croire que l’Académie française façonne la langue : ce sont les indépendants, non les moins agréables, qui vivent retirés en province. Ils viennent de la Saintonge, du Maine, de l’Anjou, du Poitou, de la Picardie, de la Bresse, du Berry, d’ailleurs encore, de la Savoie, de la Lorraine, du Midi, voire de la Wallonie : et si nos mots accourent ainsi de partout, beaucoup retourneraient en Normandie.

Nous aimons les vieux mots parce qu’ils sont une tradition et une ressemblance, parce qu’ils nous unissent dans l’histoire et qu’ils nous protègent contre l’envahissement, parce qu’ils sont un gage de survivance, un refuge et un rempart, et un peu l’âme de la France qui nous serait restée.