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SOUVENIRS

en fleur, et, sur la montagne, la route serpente parmi des jardins ravissants.

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Une méprise amusante risque de provoquer un incident diplomatique. Comme délégué à la Conférence, je dispose d’une automobile : grande limousine de marque italienne. Elle est conduite par un chauffeur qui porte le numéro seize et que, pour simplifier, nous appelons Sedici, nom dont il s’accommode fort bien. Il a les épaules puissantes et un large sourire. Il se lance sur les routes en spirales, au flanc des monts qui bordent la mer ; il bondit sur les caps et racle les vallées, en enfant du pays : il faut calmer son ardeur de nombreux pianos.

Dans la ville, il est plus calme et devient même protocolaire, ainsi que l’on va voir. Il est troublé par le fait que nous faisons partie de la délégation britannique et que nous parlons français. Comme il s’intéresse à nous et s’ingénie à nous plaire, il se résout à un geste naïf et touchant : chaque voiture porte à l’avant un tout petit drapeau aux couleurs nationales du délégué, ce qui permet à la foule, friande du moindre incident, de reconnaître au passage les personnages officiels. Pour traduire à sa façon notre nationalité qui lui paraît double, Sedici eut l’idée de piquer sur le nez de l’auto deux petits drapeaux, l’un anglais et l’autre français, celui-ci — le seul qu’il avait trouvé — légèrement plus grand que l’autre. Il rayonnait : enfin, il avait traduit notre dilemme ethnique.

Mais comme nous passions par les rues étroites au milieu d’une population tassée sur elle-même, nous constatâmes l’étonnement des Génois qui se demandaient à la vue du double emblème : perque