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SOUVENIRS

imposé une grande fatigue, et je subis mal la chaleur et les balancements du train.

Je revois New York avec plaisir. Je le traverse en autobus jusqu’à Riverside, comme j’aime faire : c’est une sorte de prise de possession à laquelle je me livre chaque fois. Dans la soirée, nous arpentons le Broadway, de la 110ième rue à la 34ième, en musant.

Le lendemain, nous sommes sur le Homeric en route vers Cherbourg, par un soleil radieux. Le départ, merveilleusement réglé, est émouvant : mais la foule nous fait des adieux anonymes — car nous n’y distinguons personne qui nous soit proche, aucune figure amie — : et nous évoquons par delà la frontière ceux dont nous eussions aimé emporter un dernier sourire.

Le Homeric est confortable et gai. Vingt mille tonneaux, c’est je crois, la formule la plus heureuse. Sur le pont-promenade, s’ouvrent de larges salons en enfilade où nous prenons tour à tour le thé ou le café et où s’accomplit, le soir, le rite bigarré, et parfois comique, de la danse. La salle à manger, à laquelle on accède par un ascenseur, est encastrée au centre du navire et donne l’illusion de la stabilité. Les convives sont groupés par petites tables : notre délégation en occupe une et, trois fois le jour, nous avons l’occasion d’échanger des propos divers, dont nous bannissons, autant que possible, l’inquiétude européenne.

Les passagers de première sont peu intéressants, du moins pour ce que nous en connaissons. Pour quelques-uns, qui sont bien, les autres sont gris ou dorés de neuf. Ma femme a pour voisin sur le pont, à six chaises de la sienne, un homme qui voyage avec un domestique nègre : il dispose de trois paletots : un léger pour la promenade, un