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PRÉSENCES

sur l’immense drapeau. Repliés, ramenés aux limites de la Vallée où ils avaient installé leurs maisons de pierre, ces hommes ont du moins remporté dans leurs enfants la victoire de la fidélité.

Au delà du sol, assagi par la patience humaine, tu trouveras la forêt, décapitée, réduite à des lignes de souches. Spectacle attristant, intermédiaire entre la mort et la vie, qui marque la lourde étape vers ce que nous appelons la terre neuve. Mais la maison de l’homme s’élève déjà, construite des troncs d’arbres abattus, criblés de nœuds. Une église, une école sont prévues, promesses du repos prochain dans la conquête achevée. Tout autour de ces trouées, la forêt poursuit son impassibilité sauvage.

***

Recherche la forêt, la joie, le saisissement, la constellation des sous-bois, et le croisement des voûtes en arceaux, où tu retrouveras l’inspiration de l’art gothique.

Approche-toi de l’arbre. Caresse-le. Parle-lui. C’est un ami. Contemple son écorce et son feuillage ; appuie ta main sur lui, tu sentiras sa résistance, tes yeux glisseront jusqu’aux racines si fortement agrippées au sol. Vois cette bûche qui vient d’un grand arbre abattu. Exsangue, elle achève de pourrir ; son cœur n’est plus que craquelures qui cèdent sous les doigts. Attaque de ton bâton ferré ces craquelures, tu troubleras peut-être un peuple de fourmis qui en a fait son royaume : voici des couloirs, des renflements criblés d’œufs. Un mouvement subit, en noir et blanc, s’agite vers une autre cachette. Tu auras comme un remords d’avoir troublé une vie ardente. Quant aux bûches vives, tu sais ce qu’il en coûte à Tit-Bé