Page:Montpetit - Souvenirs tome III, 1955.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
214
SOUVENIRS

laiteuse, promesse d’un beau jour. Par vent d’est, quand l’atmosphère se purifie avant la pluie, ou dans les prenantes incrustations des soirs d’été, elles précisent leurs contours empourprés.

Suis le frère Marie-Victorin sur le Mont Saint-Hilaire, qui fut un lieu de recueillement au temps de Mgr  de Forbin-Janson. On y avait construit une chapelle, vers laquelle se déroulait un chemin de croix. Il n’en reste plus que des ruines, quelque bois vieilli, de fortes chevilles rivées au temps, et parmi lesquelles le grand botaniste eut la joie d’admirer un jour une floraison de lis tigrés.

Marie-Victorin aimait s’attarder sur ce sommet, évoquer des images et des voix montant de la plaine, celles d’aujourd’hui et, plus lointaines, celles d’un passé païen, que la croix et les lis absolvent et rachètent. L’évocation du poète était si vive qu’il avouait craindre, « en se retournant, de trouver debout, sur le rocher, quelque guerrier tatoué, appuyé sur son arc… »

Mais l’âge des Peaux-Rouges est révolu, tournée la page des contes barbares. Observe les labours. Des gens sont venus du Perche, de l’Anjou, de la Normandie, de la Bretagne, de la Saintonge, des gens au langage clair, à l’âme tenace. S’adapteront-ils aux conditions que leur impose l’aventure conduite en un siècle où l’on espère coloniser, avec une poignée d’hommes, un monde cinquante fois plus grand que la France, et en faire un empire. Suis-les dans leur œuvre. Sur le sol accueillant. ils recommencent le geste de l’ancêtre, ils ouvrent notre sillon. Mais le propre de l’aventure est de n’avoir pas de bornes : elle devait les emporter au loin dans la forêt, ils devaient subir le choc du nombre et de la richesse. Fini, le beau rêve d’expansion. Les lis de France n’ont pas tenu