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PRÉSENCES

maisons est inquiétante si on la compare à ce que nous bâtissions autrefois en pierre ou en bois. Des types hybrides n’offrent même pas l’excuse américaine. Les métiers évoluent sous des appellations anciennes : le boulanger, le boucher, le coiffeur modifient leur formule. Pour un maréchal-ferrant qui poursuit sa carrière, combien de garages sollicitent la clientèle des touristes pressés. L’auberge enrichit son accueil. Le « magasin général » vend de tout, comme autrefois, car il faut pourvoir aux besoins ahurissants d’une population éloignée des centres. Mais la marchandise varie : standardisée ou mise en conserve, elle est rangée aux étalages et souvent réduite à une pacotille sans caractère. Je garde dans les yeux le coin des manches de hache et des cordages, et celui des bonbons, des cigarettes ou des eaux gazeuses. On n’y changera rien, je le sais, mais cette pénétration insidieuse devrait nous contraindre à plus de surveillance et à un rappel constant des goûts que nous tenons de race : la langue autour de laquelle nous montons la garde plus ou moins n’est pas la seule de nos disciplines qui soit en péril. Il y a l’esprit.

***

Reprenons la route.

Vois combien notre vallée, qui paraît monotone à l’Européen, est enrichie du mouvement que lui communiquent les collines montérégiennes. Leur nom les rattache au Mont-Royal. Tu les verras différentes, selon que ta course t’entraînera : depuis Hochelaga, au moment de franchir le Saint-Laurent, depuis le vaste horizon que commande Saint-Sulpice, du tournant de Laprairie ou de la courbe du bassin de Chambly. Dans la brume matinale, elles gardent longtemps une douceur