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SOUVENIRS

village, il n’y a pas de nation, combien d’erreurs mortelles s’évanouiront. » Retiens cet aveu. Ajoutes-y ces réflexions de Maurice Bedel : « Tel est le village, mon ami. Certains le désertent : ils ont bien tort. Là la vie est facile : là est le commerce de petit gain, régulier, quotidien, à l’abri de l’agio et des tempêtes de la spéculation : là se survit l’artisanat, fine fleur du jardin des métiers : là se développe et se limite en sa croissance le groupe humain naturel, la tribu des ancêtres, avec sa hiérarchie de juste choix et ses coutumes qui tirent leur origine de la nature des choses : là est l’ordre. »

Tu te demandes pourquoi Romier et Bedel prennent ainsi la défense du village ? Serait-il attaqué, menacé ? Ce serait grave car il s’agit de « la cellule-mère de notre race. » Il y aurait eu rupture d’unité par suite de trois événements : la poussée démocratique, le relâchement religieux, l’envahissement du progrès moderne.

Nous avons subi la poussée démocratique et l’envahissement du progrès moderne, et nos traditions en ont souffert. Il nous reste le lien religieux. Cela nous indique où notre effort doit porter.

Tu redoutes peut-être l’envahissement du progrès moderne ? Est-il si prononcé ? Constitue-t-il un danger pour nos traditions ?

J’ai souvent rêvé d’un village qui n’aurait pas changé. Il en existe, m’assure-t-on, et pas si loin de Montréal, où les habitudes persistent et qui gardent leur physionomie sous le souffle étranger. Je ne les connais pas. Les villages que j’ai observés sont touchés. Ils muent. On y sent persister un vieux fonds que la vie moderne effleure ou transforme. L’église, le presbytère demeurent sous des formes plus ou moins heureuses, mais la suite des