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SOUVENIRS

éloignées inclinent vers la mer. Elles se posent, blanches. Là-bas, elles se confondent avec les crêtes des remous.

Je me tiens debout sur le pont supérieur. Mes yeux ne se lassent pas de cette majesté, de ces couleurs, de cette harmonie, de cet accueil. Oubliés, le brouillard et la tempête qu’un peu de neige souillée et frileuse rappelle sur un coin de pont où on l’a poussée, comme un déchet. Le soleil baigne tout le pays, pénètre jusqu’aux reliefs qu’il efface, ne laisse que quelques ombres à peine tracées, nettoie la mer, la peint de mille couleurs mouvantes, éclaire l’horizon d’un blanc presque livide, et met sur toutes ces choses qu’il révèle une inexprimable joie. Ma figure, parmi tant de visages britanniques, froidement sensibles, ne bronche pas. Mais je hurle intérieurement, d aise et de satisfaction. Et je descends l’écrire mal, ne fut-ce que pour garder le souvenir d’un incomparable éblouissement.

Sur le Saguenay, un coucher de soleil. Les montagnes sont pourpres sur le fleuve pâle : elles s’incrustent lentement dans le ciel jusqu’à se confondre avec la nuit.

À Québec, nos yeux encore européens reconnaissent tout de suite une parenté. Formons des vœux pour que le conseil municipal et le gouvernement de la province la protègent et la gardent. La campagne est amortie par un reste d’hiver. Mais pourquoi tant de maisons grises et tant d’ormes ? Et puis, au Canada français, pourquoi chacun possède-t-il sa clôture, son poteau de télégraphe et son escalier extérieur ?

Le port de Montréal nous étonne. Quel progrès ! J’ai l’impression qu’il grandit devant nous, au moment même où nous passons. Cette vitalité