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dans son évolution, dans sa défense. On le comprend mieux lorsqu’on la compare. L’anglicisme gagne le français de Paris, l’atteint, le crible, comme un microbe attaque un corps sain. Le sport naguère était touché. Aujourd’hui, d’autres membres sont envahis. On prend le five o’clock tea avec des toasts et du cake, le breakfast et le lunch. Un cinéma belge annonce un grand event dans la gentry anglaise, curieux retour à la langue franco-normande qui eût réjouit Philippe Geoffrion. Bar et barman sont définitivement acquis. Manager n’est plus en italiques et Carco écrit : prendre un glass. On expose des sweaters, des pull-overs, des blazers. Ginger ale a fait des progrès. Un livre de recettes indique les secrets du fudge, des clipps aux noix et à la mélasse, du caramel honey. Boulevard de Clichy et rue Pigalle, j’ai relevé par amusement : Cafétéria, High-Life Concerts, Clichy tabacs, Tailleur Jacques Tailor. American Bar, qui est partout et jusqu’à La Haye, Metropol Hôtel, Iris Bar, Pierrot’s Hôtel, Pigall’s Tabac, Impérial « soupers », Select Hôtel, Atlantic Hôtel, Donkey’s Bar. Broadway Midnight Follies. American Club. Mitchell’s Quick Lunch, Fox Films et cette perle : Pigall’s maroquinerie.

C’est une mode, je le sais bien, et qui passe. Mais je songe malgré moi à notre pain grillé ou à nos rôties et à notre gâteau aux fruits, à chandail, qu’Asselin fit triompher pendant la guerre, à nos fins de semaine et à nos entrevues, dont on ne veut pas, à poutine, à paparmane, à crobarre, à garçon de buvette, à magasiner, et même à char-réfectoire que Giraudoux a blagué aimablement. Indésirable, que nous inventâmes, a gagné les théâtres du Boulevard puis la langue populaire. Réaliser a plu aux académiciens. Romier accepte ca-