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ALLER ET RETOUR

chefort n’offre guère d’intérêt. Nous traversons seulement la ville, après avoir acquitté un impôt de quarante centimes qui provoque entre le chauffeur et le préposé une de ces engueulades qui font la joie des étrangers. Mes yeux, vieillis de vingt ans, ne s’y retrouvent guère. Seul, mon estomac se rajeunit vraiment à la vue des mille-feuilles baveux, mais l’heure du thé nous appelle plus loin.

Brouage est au sud, vers Marennes, au delà de l’estuaire de la Charente, qu’un virage amusant de remorqueur nous fait passer, auto, corps et biens. Le pays est plat jusqu’à la mer, en bordure basse. Une plaine, sorte de marécage récemment desséché, où percent des touffes de fortes herbes. L’aspect délabré de nos brousses de l’Ouest. Ce sont des pâturages. Voilà l’horizon que connut Champlain, qui l’emporta vers l’océan, de l’unique trait de la ligne droite. Quelques arbres, plus jeunes que lui. Quelques villages où sans doute il passa. Au détour du chemin, une très ancienne chose, étrange, inexplicable au premier regard, une enceinte fortifiée, ramassée sur elle-même, à demi démantelée, restaurée par endroits. C’est Brouage. Des fermes et des maisons se rapprochent dans ces murs où vivaient jadis des armées. Une place, surplombée d’une église du XIIe siècle, aux dalles frustes et glissantes, aux cintres émouvants de simplicité.

À droite de l’église, une simple colonne porte le nom de Champlain, la date de sa naissance et de sa mort, celle de la fondation de Québec et de la Narration. Devant ce décor branlant que vient de visiter une mission canadienne, j’évoque le prestigieux Saint-Malo et le geste de Cartier dirigé vers la mer. Champlain fut pourtant plus grand. Dans la vase et le purin, le long de portes d’étables