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SOUVENIRS

Partout, des ailes ballottées, comme si l’écume disséminée faisait une réplique aux oiseaux dans l’étourdissant mouvement. Le bateau passe d’une vague à l’autre, soutenu sur un corps énorme qui se gonfle, puis entraîné dans une courbe molle. Plaisir unique de se sentir emporté dans la force et la couleur, de naviguer dans la beauté jusqu’à la lassitude. Les vagues bondissent l’une contre l autre, unissant leurs crinières d’un frisson bref. Celle-ci est bleue à la base, puis verte, puis blanche une minute. Tout son dôme se colore, illuminé de ses parois qui vont crouler, qui croulent sous un fracas d’écume. Au loin, tout près, tout autour, ce bleu, ce vert, ce blanc, ce mouvement inépuisable, qui dure parce qu’il renaît sans fin, échevelé, fou, comme une exaltation vers le soleil que la mer applaudirait de mille mains blanches.

Le soir, un rayon abondant sur les flots sombres. Une masse en fusion, dont un pan formidable, grandi par la nuit, coule sous le bateau, comme une pâte métallique, tout un pan, incliné d’un coup vers la profondeur, mur mobile et souple. Nuit de rêve, à peine éclairée sous le ciel qui se dégage. L’horizon plus précis semble la terre. L’œil y cherche une lumière qui marque la fin des hommes ou leur recommencement.

Le brouhaha habituel des fins de voyage : concert, dîner du commandant sous les bonnets de papier, vente aux enchères. Celle-ci est conduite par un Américain d’origine hongroise, petit, glabre, l’œil éteint. Il est superbe. Il éveille les générosités les plus insensibles. Il repart vers d’autres sollicitations, sitôt qu’il a mené à bien celle qui s’achève. Il hypnotise. Il fait appel à la loyauté yankee, invoque les étoiles de la bannière nationale. Puis, épuisé, il lance ce mot : « The Purser