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ALLER ET RETOUR

enfants et je serre de nouveau la main des amis. Je salue la terre où ils vivent.

La mer. La vague se creuse. On a placé des câbles qui nous font l’effet d’un examen de conscience. Le ciel est pur au-dessus des flots agités. Au nord, des nuages rosés se gonflent vers le soleil. Ils ont reculé jusqu’à l’horizon et semblent des pics immobiles, qui regardent l’immensité. Nous passons, infimes. L’orchestre joue. Une valse m’atteint dans le couloir où j’écris. Un bruit de verres annonce l’ouverture du bar, longtemps après que nous avons dépassé la statue de la Liberté.

La vie des transatlantiques : bains d’eau salée, marches forcées, alimentation soutenue. La conversation offre ses hasards. Le commandant, qui a le sourire de toutes les expériences et de délectables recettes de coquetels apaise nos nervosités d’un proverbe marin : « Vent arrière fait la mer belle ». Nous nous mettons d’accord sur le principe d’une mathématique de pont supérieur : la crainte du raseur grandit en raison directe de l’espace. Quelques types sans atomes crochus. Le transatlantique recèle dans son âme de huit jours une vie de liens rompus. Quelques lectures inachevées, des travaux distraits. Que faire sinon regarder, depuis notre prison, l’océan qui nous subit ?

Il est devenu mon ami. Je l’interroge. Le jour, l’immensité vide et grise se déchire au-dessus de nous et le soleil brille un instant par une fenêtre qui s’ouvre sur le bleu profond du ciel. Le vent puissant souffle de l’ouest. Une joie universelle se multiplie vers l’horizon. Je me place au centre d’un spectacle que peut-être je ne retrouverai plus. Les mouettes éperdues semblent jaillir des crêtes.