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ALLER ET RETOUR


L’Université de Bruxelles m’avait invité à donner au printemps de 1928 un cours sur le Canada, analogue à celui que j’avais fait en Sorbonne. Je partis en février.

***

Près de Saint-Jean, je regarde la neige meuble et sale où je vois des pas qu’une lanterne accompagne, glisser. Je regarde, comme le veut Georges Duhamel, jusqu’à ce que je comprenne, reconnaissant la petite vie qui se poursuit, quotidienne comme la lumière qui luit là-bas, et sur laquelle l’existence se referme. Demain je ne verrai plus de neige.

Les voitures métalliques sont peintes de vert olive, raidies d’une frise au pochoir : une sonorité froide, un toucher glacial, un contact d’usine. Au regard, un mensonge.

New York, à sept heures du matin. L’arrivée par le chemin de fer suspendu d’où l’on surprend des gestes de réveil. Le train s’engouffre sous la gare. Je suis emporté aussitôt, comme un rouage.

Le service me saisit, dès les quais profonds où les voitures sont encaissées et la courbe de sortie où les taxis déroulent une courroie sans fin.

À l’hôtel, ma fenêtre donne sur l’est. Un soleil rouge, tout rond, sur un fond brouillé de bleu et de gris. La ville se détache à contre-jour, comme une féodalité ou quelque Métropolis. Au théâtre, le décor jaillit ainsi graduellement de l’obscurité