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VERS L’OUEST

toute une humanisation audacieuse et perdue sous l’impassible éternité des monts.

Le train passe, effréné, sous des viaducs, le long de falaises, au flanc de larges tranchées, au-dessus d’éboulis. Des torrents latéraux surgissent.

L’ouest reste illuminé d’un ciel pâle et d’une étoile. La nuit a déjà pénétré les ravins où l’œil distingue encore des bourrelets de sable.

Nous ne verrons — car ce train court inlassable et la nuit nous cache tant de choses — ni Glacier ni Connaught, ni le Mont McDonald, mais demain nous roulerons vers Golden.

La vallée s’amplifie, bordée de pics neigeux. Comme j’aime la compagnie de ces lumineuses vallées de pierre !

Voici Golden : des bungalows coiffés de rouge dans la montagne verte et la passe fameuse du Cheval-qui-rue où s’acharne un torrent gris, comprimé dans les murs d’un canyon. Les eaux plongent entre deux masses de pierre dont les bords se rapprochent au fond d’une large vallée que domine la dentelle des arêtes.

L’esprit, libéré des réalités, ne retient que des images fantaisistes : un décor mouvant que le train bâtit ou détruit l’espace d’une course, le temps d’une rampe. Toutes ces étendues, tous ces versants, tous ces tourbillons, aussitôt évanouis dans l’horizon refermé !

Les glaciers lointains inclinent leurs neiges par de larges trouées. La masse glaciaire que je voudrais voir de près est encerclée de pics aux neiges plus lourdes, profondes, mauves ou grises. Sur les falaises, un ciel d Italie qui fait mal.

Nous sommes à Field. La gare s’écrase au pied du Mont Stephen, pagode au toit d’argent. La rivière court sur des boues grises et fait l’effet