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SOUVENIRS

lets, une hôtellerie, des baigneurs. Nous descendons prendre une tasse de thé.

Nous rentrons vers la fin de l’après-midi, sous un ciel profondément pur. Des fumées blondes s’élèvent paresseusement de cheminées trapues et flottent dans le soleil qui descend. Bientôt, elles envahissent le fjord qu’elles teintent d’une couleur familière à nos pays boisés. Et les montagnes s’enfoncent à contre-jour, dans la nuit proche.

***

Nous voguons vers Victoria. À l’embouchure du Fraser, des pêcheurs, montés sur des barques grises et sans voiles, reconstituent une des scènes canadiennes que j’ai projetées devant le public parisien, en Sorbonne. L’horizon vaporeux retient quelques nuages blancs. Le temps tarde à s’éveiller. C’est l’heure indécise qui reste suspendue comme une promesse, celle où l’homme reprend sa tâche quotidienne, là sur la côte proche, où se profilent des industries. J’ai toujours goûté ce réveil de la vie qui me reporte invinciblement vers les matins de Paris encore enveloppés d’une aube tardive imprégnée des odeurs de sciure fraîche ou de crémerie.

Comme hier, nous donnons sur un barrage de montagnes apparemment sans issue. Ce n’est qu’un moment, car voici, sous le souffle léger du Pacifique, les îles gardiennes de Victoria. Nous évoluons parmi des sommets, le long de rives sinueuses qui nous touchent presque de leur roc bronzé. De sombres sapins les recouvrent. L’une après l’autre ces îles glissent vers nous et nous laissent une rêverie. Dentelées de fjords, elles reproduisent en miniature l’image de la côte que couronnent au