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PROFESSEUR EN SORBONNE

Léonard, Strasbourg : encore aujourd’hui, je revis l’enchantement de ces étapes. On m’expliquait les choses et j’écoutais les hommes. Les contacts étaient rapides et les rêves, mais je profitais de l’expérience des autres bien plus que si j’eusse été seul à interroger, au hasard des rencontres, j’ai souvent accompagné des étrangers dans la visite de notre pays : le poète Porché et Lucien Romier ou Jean Brunhes et Raoul Blanchard : et combien d’autres ! Certes, leur nom leur eût ouvert toutes les portes et conquis tous les empressements, mais où eussent-ils frappé à coup sûr ? Un pays c’est un livre fermé. Il faut, pour le connaître, que quelqu’un l’ouvre « aux endroits souvent lus ».

On me découvrait ainsi l’Alsace, comme par miracle. J’allais tout de suite, conduit par la main, à l’essentiel de la vie sans que celle-ci s’arrêtât. Je profitais d’une sorte de transparence ménagée par une connaissance sûre et les plus délicates attentions.

Derrière les murs délicieusement patinés, les architectures où s’abritent la volonté de durée et la circonspection de l’aisance, dans ces villes aux beffrois toujours éveillés, je touchais, ne fût-ce qu’un moment, la chaleur de l’action quotidienne. Je frémis. maintenant que mes jours ont vieilli, des prouesses que j’accomplis, enclin que je suis à la détente des heures. En une journée, je descendis sous terre à six cents mètres, je brûlai la route à cent dix kilomètres : et je m’élevai sur la montagne à treize cents mètres. Je bondissais. S’il y avait eu à portée un aéroplane, je crois bien que je l’eusse accepté, malgré mes craintes d’invétéré terrien.

Rien de ce spectacle ne s’est estompé depuis. Il renaît dans ma pensée en couleurs vives, sitôt que je l’évoque. En si peu de temps, j’avais assemblé