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PROFESSEUR EN SORBONNE

c’est que vous ne pouvez guère raconter que les événements qui vous sont à peu près défavorables. Par pudeur, vous devez écarter systématiquement tout ce qui pourrait vous faire valoir. » Je suis bien de cet avis et loin de négliger les événements défavorables, j’aurais plutôt tendance à les accentuer.

Un simple regard sur les textes que l’on m’a remis après chaque leçon me porterait à déprécier ma parole. Même si la sténographie avait été fidèle, j’aurais tort. Inconsistante, la phrase peut passer la rampe. L’improvisation impeccable est souhaitable : elle n’est pas nécessaire. L’oreille est indulgente, surtout si elle se fait sympathique et capte plutôt, ou l’idée, ou l’image, ou le mouvement. Si j’avais eu, comme cela m’est arrivé, la ressource de l’enregistrement sur disque, je serais encore aujourd’hui mon propre auditeur et le témoin de ma tenue. Mais tout cela est vain et je ne saurai jamais ce que j’ai vraiment dit, ni comment je l’ai dit.

Cela importe peu. L’empressement du public obéit à des raisons profondes dont il est le seul maître. C’est le sujet qui le retient. La geste française en Amérique : ce que sont devenus ces hommes détachés de la France : s’ils ont gardé leurs traditions : défendu leur langue des atteintes conjuguées du nombre et de la distance : exprimé une pensée qui leur soit propre, fût-elle chargée de susceptibilités : imposé le fait français là où ils ont rayonné : démontré que la France sait coloniser, quoi qu’on dise, et que partout elle s’affirme par l’esprit. Quels que soient les retours du sort, les inquiétudes de l’heure ou les défaillances passagères, même les révoltes du cœur ou la volonté d’émancipation, l’origine marque le front des « en-