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PROFESSEUR EN SORBONNE

Nous musardons. Quelle détente, loin de mes dossiers repliés, de la contraignante assiduité de ma tâche, de toutes les cartes murales du monde et des prévenances hebdomadaires de l’huissier vêtu de noir.

Surtout, gagner l’espace libre : dessiner un circuit classique et rester maître de le rompre au gré de sa fantaisie, de prolonger des relais aguichants. S’attarder autour de repas plantureux, arrosés de cidre ou de vin doux. S’abandonner au repos du soir dans le silence complice de la vie de province.

Ainsi s’anime une autre « géographie cordiale », de Versailles à Mortagne d’où partit Giffard : d’Alençon à Avranches jusqu’à Saint-Malo, précédé de vieux chaumes et gaîné dans ses remparts, où plane le souvenir de Jacques Cartier et, plus loin, sur un îlot, celui de Chateaubriand. Nous entendons la messe de Pâques à l’église Saint-Vincent où le découvreur, avant son départ, s’agenouilla sous la bénédiction de l’évêque, et que domine l’antenne d’un fin clocher dressé au delà des toits bourrus de la ville corsaire.

Saint-Malo boucle la boucle. Un dernier regard sur Dinard, le déjeuner au morne cap Fréhel et, par les terres, le radieux aboutissement du Mont Saint-Michel, envahi, ce jour de grâces, par une foule empressée que conduit la voix monotone des guides. Silhouette vigoureusement jaillie du moyen âge et connue du monde entier. Est-ce à cause de cela que sous son approche imposante pointe une désillusion ? Il faudra refaire ce pèlerinage dans le recueillement que n’admet pas l’exubérance d’un tourisme de circonstance.

Nous dînons à Avranches, et Granville berce notre sommeil de l’infinie chanson de la mer.