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PROFESSEUR EN SORBONNE

Mais comment, durant ces longues heures de pont ou de cabine, oublier la mission dont me rapproche chaque tour d’hélice ?

J’imagine l’événement comme il se produira un jour, une heure. J’évoque l’entrée sévère de la Sorbonne où tant de fois, je me suis mêlé à une jeunesse ardente. Par quelle porte se glissent les professeurs ? Je soupçonne l’auditoire que j’aurai devant moi — dont cette fois je ne serai pas —, séparé de lui par une longue table et tout seul comme un cobaye sous la cloche immense. Sera-t-il nombreux ? Cela n’a pas d’importance. N’ai-je pas, à Paris même, écouté un professeur prononçant gravement sa leçon devant neuf personnes ? Il y aura sûrement quelques amis français et des compatriotes, venus par sympathie ou par curiosité, et le flot plus ou moins relâché des habitués, sympathiques, épris de parole et de confort : c’est l’hiver… « Monsieur le doyen, Mesdames, Messieurs… »

Cette minute, avec quelle intensité je l’ai vécue avant de la vivre, inquiet et confiant à la fois : inquiet de ma tâche, confiant dans l’accueil que le public français réserve au Canada.

Le soleil empourpre les falaises de France quand nous touchons Le Havre. Je regarde la Normandie, si intensément peuplée. Je viens de laisser nos larges étendues, nos forêts vierges, les audacieux témoignages de la conquête canadienne où le paysan de France a renouvelé un refuge à son image. Comment douterais-je des vertus de l’ancêtre dont je viens raconter l’héroïque poursuite sur une terre enchevêtrée de promesses et d’écueils.

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